Direction le centre pénitentiaire de Majicavo
Nous sommes reçus par le Directeur, qui nous expose la situation et nous fait visiter les lieux. Le jour de notre visite, le centre pénitentiaire est rempli à 205% de sa capacité, avec 585 personnes pour une capacité de 278 personnes. Le taux d’occupation le plus élevé de France ! 3,5% de la population carcérale française totale est à Mayotte. Un autre record pour Mayotte, une autre discrimination pour ses habitant·es.
50% des personnes incarcérées sont de nationalité française.
Sur les 50% d’étrangers, 95% sont des passeurs
Dans le centre pénitentiaire de Majicavo, le lien entre immigration et délinquance, qu’affectionne pourtant le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin, ne résiste pas longtemps à la réalité et aux chiffres. De fait, les personnes d’origine étrangère incarcérées pour des actes de délinquance ne représentent qu’un pourcentage minime de la population carcérale du centre pénitentiaire. En réalité, elles sont principalement inculpées en raison de leurs activités de passeurs : à bord de petites embarcations traditionnelles de pêche, les kwassas-kwassas, elles ont fait “passer” la frontière, contre d’importantes sommes d’argent, à des enfants, des femmes, des hommes qui fuient la misère et la guerre et pensent trouver refuge et sécurité à Mayotte. !
La visite de la prison est éprouvante : nous découvrons des conditions de vie extrêmement difficiles. Dans des cellules de 9m2, 5 personnes cohabitent. On place jusqu’à 4 personnes dans des cellules individuelles, 6 personnes dans des cellules conçues pour deux. Au milieu de la chaleur et du bruit permanent, des conflits entre détenus éclatent régulièrement. L’opération Wuambushu aggrave les conditions de détention en raison de cette surpopulation, quand aucune amélioration des conditions n’est mise en œuvre.
Les conditions de rétention dans ces lieux de privation de liberté, que ce soit en CRA, en LRA ou en prison, sont une forme de violence qui ne dit pas son nom. Il faut le rappeler, les personnes retenues en centres et lieux de rétention n’ont commis aucun délit ! Elles n’ont donc été ni jugées ni condamnées. Leur seul “tort” ? Avoir quitté leur pays à la recherche d’une vie meilleure. Un droit humain fondamental, sanctuarisé par la Convention de Genève notamment, certainement pas un crime. Pourtant, les autorités françaises entravent l’accès à leurs droits de par cette durée de rétention, d’une incapacité à être mis en contact avec des avocat·es, d’un manque d’information sur leurs droits et recours possibles, Ce faisant, les autorités françaises à Mayotte, en suivant les ordres du gouvernement, fragilisent dangereusement l’Etat de droit.
A Mayotte, ces atteintes aux droits fondamentaux, quotidiennement piétinés sont un miroir grossissant de ce qui arrive petit à petit en métropole et partout en Europe : pauvreté qui augmente, sentiment d’abandon, exilé·es devenu·es boucs émissaires, impunité politique, violences envers les plus vulnérables…
Depuis le 4 mai, des blocages et fermetures des services de santé ont eu lieu pour différentes raisons : manifestation, fermeture décidée par la direction de l’hôpital, droit de retrait des professionnel·les… et ont gravement entravé l’accès aux soins. Si les blocages sont ponctuels, ils sont stratégiques : toujours aux heures de forte affluence et de manière répétée, ils ont une réelle incidence sur la prise en charge des patient·es, et sur la vulnérabilité des personnes nécessitant des soins, qu’ils soient urgents ou chroniques.
Alors que les autorités indiquent un retour à la normale depuis cette semaine, deux problèmes majeurs subsistent :
D’abord, l'absence d'information officielle sur l’ouverture ou non des lieux de soins. Les patient·es ne se déplacent pas de peur de trouver porte close et ont ainsi moins recours aux soins, avec les conséquences dramatiques que cela pourraient avoir pour les patient·es les plus vulnérables
Ensuite, si ces blocages sont aujourd’hui levés, quelle assurance avons-nous qu’ils ne se répètent pas à l’avenir, les autorités ne faisant rien pour les prévenir ou les empêcher ?
La solution n’est pas de “gérer” au cas par cas ces blocages qui entravent l’accès aux soins. Elle est de s’attaquer à la problématique de fond qu’est l’accès aux soins à Mayotte ! Pour ça, Médecins Du Monde appelle à “la sanctuarisation des lieux de soins et la nécessité de les conserver".
Devenu département français le 1er avril 2011 et région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis janvier 2014, Mayotte doit obéir aux normes françaises et européennes. Et pourtant : à Mayotte, l’exception est la règle. Le droit appliqué en métropole est ici “adapté” pour n’être plus qu'une somme de dérogations, d’exceptions à la norme, qui entraînent des privations graves des droits fondamentaux” selon la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
Avec des titres de séjour valides uniquement sur l’île, un accès à la nationalité française plus contraignant et que Gérald Darmanin souhaite rendre encore plus difficile d’accès, des délais de demandes d’asile réduits, des contraintes posées à la circulation des mineur·es étrangers, l’absence d’allocation pour les demandeur·euses d’asile et d’aide à leur retour, ou encore des contrôles d’identité sur l’intégralité du territoire, quand en métropole ils ne sont autorisés qu’ à moins de 20 km d’une frontière, ou dans lieux spécifiques (les décrypteurs du Monde résument ces nombreuses dérogations) : Mayotte est une zone où toutes les exceptions sont permises.
Avec à la clé : un territoire fragilisé où les tensions sociales sont exacerbées ; où le gouvernement français contribue à faire prospérer la misère et la pauvreté, à creuser les inégalités, à légitimer les discriminations et à attiser les rancœurs bien plus qu’à y mettre un terme. Un territoire où à l’apaisement et au renforcement des services publics, les autorités françaises préfèrent une violence protéiforme, parfois évidente, parfois insidieuse, mais toujours dangereuse puisqu’elle nourrit les tensions entre les habitant·es de l’île.
Si j’ai quitté Mayotte, je continue de suivre la situation de très près. Notamment l’exacerbation des tensions dans un contexte particulier : celui de la crise de l’eau, qui s’accompagne de conflits sur l’accès à la ressource. À partir du 12 juin, les coupures d’eau auront désormais lieu 4 jours par semaine :