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23 mars 2021

JEUDI 4, VENDREDI 5 ET SAMEDI 6 MARS 2021. C’EST KAFKAIEN

La première semaine de mars, c’est au tour de François Alfonsi de rejoindre Montgenèvre pour effectuer une Maraude Solidaire. Durant deux nuits, le Député européen observe les conditions dans lesquelles sont traitées les personnes migrantes à la frontière.

Montgenèvre est à 1800 mètres d’altitude. Les températures en hiver y sont très froides : de -10 à -20°C c’est fréquent, et -5°C puis -2°C lors de ces deux nuits durant lesquelles j’étais présent.

" Les personnes migrantes empruntent des chemins enneigés, dans l’obscurité la plus totale, particulièrement ces fameuses deux nuits-là qui étaient sans lune. Les exilé·e·s partent de la ville italienne « jumelle » de Montgenèvre, Clavière, dernier arrêt italien du bus qui assure la liaison régulière entre Oulx et Briançon. Leur périple à pied, avec bagages et enfants, parfois même des personnes âgées, prend plus de deux heures dans le froid, la neige, l’obscurité, avec le risque de se perdre. Ils sont guettés aux différents points d’arrivée par les policiers et les gendarmes, dont ils se cachent en restant immobiles dans le froid. Quand ils les appréhendent, les policiers les amènent au poste frontière de la PAF, puis les refoulent en Italie en appelant les carabinieri (les forces de l’ordre italiennes) qui viennent les récupérer pour les ramener à Oulx. D’où ils repartiront systématiquement les jours suivants.


Ma première nuit de maraude, du 4 au 5 mars : aux côtés des bénévoles, je vois arriver le bus Oulx-Briançon. Plusieurs gendarmes montent à bord. Ils redescendent avec un passager aussitôt amené dans les locaux de la PAF, le bus repartant sans lui. 

J’interroge le Chef de Poste sur la personne retenue. Il m’informe que ce jeune homme n’a pas les papiers nécessaires pour entrer sur le territoire français et qu’il sera remis aux autorités italiennes qui sont prévenues. Je décide d’attendre ce transfert pour constater la durée de cette rétention.

Pendant cette attente, les gendarmes vont patrouiller vers une piste de ski de fond à proximité. Après avoir scruté la zone avec des projecteurs, ils déploient leurs recherches à pied avec des lampes-torches. Après trois-quarts d’heure, l’opération est interrompue sans qu’aucune interpellation n’ait lieu. Je demande alors à revoir le responsable pour savoir où en est la personne retenue. Il me répond que les carabiniers sont venus et l’ont emmené, et que cette personne a elle-même déclaré être en bonne santé. Toutes choses que je n’ai donc pu vérifier directement.


La deuxième nuit (du 5 au 6 mars) : Ma collègue Députée européenne Salima Yenbou a elle aussi rejoint Montgenèvre. Nous sommes aux côtés des bénévoles de Médecins du Monde. Une certaine tension règne avec les gendarmes qui ont verbalisé trois bénévoles au prétexte que leur attestation de couvre-feu avait coché la case numéro 1 au lieu de la case numéro 3, justifiant ainsi une amende de 135 euros chacun, et même un constat de « récidive » pour l’un d’entre eux. Ce n’est pas la première fois que cela arrive : Médecins du monde a été verbalisé abusivement plusieurs dizaines de fois, avec autant de recours à suivre, le plus souvent infructueux.

J’interpelle la préfète : je reçois une réponse kafkaienne, procédurale. 

Ces dizaines de bénévoles qui chaque nuit depuis des années, malgré le froid, malgré la pression des forces de l’ordre, malgré les épreuves physiques et morales, maintiennent une présence humanitaire sauvent l’honneur de notre pays. Ils apportent un minimum de réconfort aux personnes exilées en détresse. Je suis scandalisé que les pouvoirs publics leur adressent mépris et hostilité.

Je leur dédie ces paroles de l’hymne d’un peuple montagnard voisin, les Allobroges de Savoie :

Allobroges vaillants, dans vos vertes campagnes,
Accordez-moi toujours, asile et sûreté.
Car j’aime à respirer, l’air pur de vos montagnes,
Je suis la Liberté, LA LIBERTE ! »

#MARAUDESSOLIDAIRES