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Pourquoi je me suis opposé à la présence de TotalEnergies au Parlement européen

3 juin 2023

Mercredi 31 mai, TotalEnergies était convoquée devant le Tribunal judiciaire de Paris. La raison ? La multinationale pétrolière et gazière est visée par une plainte d’un collectif d’associations et de collectivités territoriales - dont les villes dirigées par des maires écologistes de Grenoble et Poitiers - qui l’accuse d’inaction climatique. 

Les représentants des énergies fossiles discutent de politique industrielle pour atteindre la neutralité carbone… Le renard dans le poulailler !

L’occasion de revenir ici sur l’audition qui s’est déroulée le 23 mai au Parlement européen, sur la stratégie industrielle européenne à mettre en place pour atteindre une économie zéro carbone en 2050.

Pour se forger une opinion sur les dossiers sur lesquels les eurodéputé·es travaillent et qu’iels sont susceptibles de modifier en déposant des amendements, les commissions du Parlement européen ont pour habitude d’organiser des conférences où les eurodéputé·es auditionnent des expert·es sur le dossier en question.

Ce 23 mai, nous devions aborder le règlement NZIA, pour Net-Zero Industry Act, règlement « Industrie zéro émission nette » en français. Or, pour cette audition, les groupes politiques de droite, d’extrême droite et libéraux (où siègent les élu·es macronistes de Renaissance) avaient fait le choix d’écarter les représentant•es de la société civile pour auditionner… TotalEnergies et Cefic, le Conseil européen de l'industrie chimique dont les géants pétroliers ExxonMobil et Shell sont membres !

Pour esquisser les contours d’une nouvelle politique industrielle européenne cruciale pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et renforcer notre indépendance énergétique, ces élu·es de la Commission ITRE (celle de l'industrie, de la recherche et de l'énergie) ont donc invité deux représentant·es d’industries dont le cœur de métier et les projets sont totalement incompatibles non seulement avec l’accord de Paris, mais pire, avec les engagements climatiques de l’Union européenne. C’est édifiant ! 

Retrouvez mon intervention lors de cette audition

En amont de cette audition, avec d’autres député·es impliqué·es dans le dossier sur ce règlement « Net-Zero Industry Act », j’avais adressé un courrier au Président de la Commission ITRE, Cristian-Silviu BUŞOI, pour lui faire part de nos inquiétudes. La présence de représentant·es de l’industrie des combustibles fossiles et le manque de diversité du panel étaient pour nous extrêmement problématiques ! Comment prétendre informer les élu·es de manière équilibrée quand les forces en présence ne le sont pas ? C’est tout bonnement impossible !

Pourquoi m’opposer à la présence de représentant·es des industries fossiles et exiger la présence de la société civile et de chercheur·euses au sein d’un panel équilibré ?

Pour esquisser la politique industrielle européenne de demain, et créer les conditions d’un marché européen des technologies propres, nous devons évidemment discuter avec le monde de l'industrie. Je l’ai moi-même fait constamment en tant que vice-président de la Communauté Urbaine de Dunkerque en charge de la transformation écologique, énergétique et sociale de l’agglomération. Et il y avait du travail ! Cette région industrielle, la plus énergétique de France, représente 25% des émissions de CO2 des industries françaises. Car elle est basée sur les énergies fossiles ! Comme l’usine dunkerquoise d’Arcelor-Mittal qui produisait son acier à base de charbon, émettant à elle seule 2,5% des émissions de CO2 de la France. Aujourd’hui, le groupe investit enfin dans de nouvelles infrastructures afin de produire de l’acier 0 carbone. Une bonne nouvelle pour les habitant·es de la région et pour la planète !

C’est aussi le territoire que je surnommais le Qatar de la chaleur fatale tant elle générait d’énergie perdue. Énergie dont nous avons tant besoin par ailleurs.

Il faut non seulement échanger avec les industries qui engagent leur transition énergétique, mais il faut également échanger avec les industries qui permettront la transition énergétique. C’est notamment le cas d’entreprises comme VERKOR qui  développe et produit des batteries de véhicules électriques, et qui est en train d’implanter sa première Gigafactory sur ce territoire.

Nos opposant·es politiques aiment à croire et à diffuser l’idée que les écologistes seraient contre l’industrie, que la mise en place des politiques de transition que nous appelons de nos vœux signerait la fin de l’industrie en Europe. Rien n’est plus faux ! D’une part, parce que ce ne sont pas les règles environnementales qui sont à l’origine de la désindustrialisation de la France et plus largement de l’Europe. Mais le dumping social et des choix politiques malencontreux. D’autre part, les écologistes sont convaincu·es que l’industrie a un rôle à jouer dans la transition énergétique, la décarbonation de notre économie et le renforcement de notre souveraineté, en réduisant ses émissions de gaz à effets de serre d’abord et en produisant en Europe les technologies de pointe indispensables au développement des énergies renouvelables ensuite.

Je le clame haut et fort : écologie et industrie sont compatibles !


Alors écouter le monde de l’industrie, il le faut et j’en suis convaincu. Mais pas l’industrie d’hier qui s’appuie sur les énergies du passé, bien trop tentées de perpétuer le modèle qui les a enrichies et qui est à l'origine des crises climatiques et écologiques.

Et sûrement pas TotalEnergies, Shell et Exxon, toutes trois condamnées ces dernières années en Allemagne ou aux Pays-Bas pour publicité et actions mensongères en matière climatique ! 

TotalEnergies est en effet visée par plusieurs plaintes en France, et était mercredi 31 mai devant la justice française pour «inaction climatique» et manquement à son “devoir de vigilance” sur l’impact environnemental de ses activités. Une coalition d’ONG et de collectivités, dont les villes de Paris, New York ou les villes dirigées par des maires écologistes de Grenoble et Poitiers, demande en effet à la justice de contraindre le géant pétrogazier à aligner sa stratégie climatique sur l’accord de Paris et de prendre des mesures pour réduire son empreinte carbone. S’attendant à une procédure judiciaire longue, la coalition a demandé l’application d’une mesure provisoire exceptionnelle et “d’ordonner à TotalEnergies de suspendre les projets d’exploration et d’exploitation de nouveaux gisements d’hydrocarbures n’ayant pas fait l’objet d’une décision finale d’investissement”. Si cette mesure était appliquée, ce serait une immense victoire qui pourrait être répliquée à de nombreux projets climaticides !

Avons-nous réellement besoin de ces acteurs industriels là pour engager la transition ?

Un coup d'œil rapide aux exploits de notre multinationale pétrolière “nationale” me suffit à répondre que non. En tous cas, pas tant qu’ils continueront leur business as usual, ignorant les alertes et la gravité des crises, poursuivant la recherche de profits et pratiquant un greenwashing indigne de l’urgence climatique.

Qu’en est-il de l’engagement à construire un système décarboné pris par Patrick Pouyanné le PDG de TotalEnergies à la COP27 en Egypte en 2022 ?

Chahuté par des militant·es écolo qui dénonçaient sa présence incongrue à une conférence internationale sur les changements climatiques, le PDG de TotalEnergies avait rétorqué que TotalEnergies faisait partie des solutions et qu’il fallait que des acteurs, comme la multinationale, s'engagent à construire ce système décarboné.

Ah ? TotalEnergies, actrice du changement et de la décarbonation ?

TotalEnergies est responsable à elle seule d’environ 1% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Une empreinte carbone équivalente à la mienne, la vôtre… et celle de nos 67 millions de concitoyen·nes français·es !

Le 24 mai 2023, l’ONG Bloom publiait un rapport montrant comment la multinationale déploie des énergies renouvelables en marge de ses nouveaux projets fossiles, pour communiquer sur le fait qu’elle produit du pétrole et du gaz « propres ». Greenwashing quand tu nous tiens ! Selon Bloom, depuis le 1er janvier 2021, TotalEnergies a annoncé trente nouveaux projets fossiles. Dans 80% des cas, ces annonces climaticides sont accompagnées de déclaration d’investissements dans les énergies renouvelables, des projets de capture et de séquestration de carbone, ou des ruptures technologiques promettant une moindre intensité carbone - des technologies dont on peut par ailleurs questionner la faisabilité. C’est le cas notamment lorsque la multinationale argumente que son méga projet d’oléoduc chauffé de 1440 kilomètres en Ouganda (EACOP pour East African Crude Oil Pipeline) aura une connexion avec une série de 5 fermes solaires. Et dans cette grande opération de Greenwashing, TotalEnergies ne manque pas au passage de se vanter de participer à la décarbonation du mix énergétique angolais. Rien que ça… Ce projet est par ailleurs très controversé compte tenu des risques de violations des droits humains et de dommages environnementaux qu’il pourrait générér. Il fut même l’objet d’un recours par des ONG françaises, avant que des juges français·es ne déclarent le dossier irrecevable et donc sans même se prononcer sur le cœur du dossier, à savoir les manquements graves de Total à ses obligations de vigilance.

La réalité ?

Si, en 2021, Total a changé son nom en TotalEnergies pour mettre en mot sa volonté de transformer la multinationale en major de l’énergie verte, la réalité est moins… verte. Entre 2015 et 2019, TotalEnergies a dépensé 77 milliards de dollars dans l’exploration et la production pétrogazière, contre à peine 5 milliards dans les énergies renouvelables. Selon son dernier plan « climat », les énergies renouvelables ne représenteront que 15 % de son mix énergétique à l’horizon 2030.

En 2022, TotalEnergie est le champion mondial de l’approbation de nouveaux projets d’extraction de pétrole et de gaz. A l’horizon 2030, la multinationale produira deux fois plus d’énergies fossiles que ce que recommande le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (GIEC).


Pour consulter l’étude aussi passionante qu’inquiétante de l’ONG Bloom

Le 25 mai 2023, c’est au tour de l’ONG américaine Oil Change International d’enfoncer le clou et d’affirmer que TotalEnergies n’est pas une entreprise en transition et qu’elle reste profondément liée aux énergies fossiles.

Un chiffre ? En 2022, TotalEnergies a fait un bénéfice net de 19,1 milliards d’euros. Une hausse de 28 % par rapport à 2021 ! Autant de milliards investis dans les renouvelables ? Dans les technologies propres ? Non et non. Ces superprofits record ont été investis dans… les énergies fossiles. Pour chaque euro que TotalEnergies aurait consacré à des énergies à faible émission de carbone, l’entreprise aurait investi 8 fois plus dans le pétrole et le gaz, et enrichi ses actionnaires via des dividendes ou des rachats d’actions. On comprend mieux l’empressement de ces dernier·es à rejoindre son Assemblée générale du 26 mai, quitte à devoir escalader des grilles, marcher sur des militant·es écolo ou déclarer “Je m’en fous de votre planète !”.

“TotalEnergies sape les efforts mondiaux pour limiter le réchauffement de la planète” David Tong d’Oil Change International

Trois jours après l’audition au Parlement européen, la multinationale pétrolière TotalEnergies faisait voter par ses actionnaires sa stratégie climat pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Et comment dire… Les énergies fossiles restent le cœur de l’activité de TotalEnergies, qui prévoit notamment d’augmenter sa production d’énergies fossiles de 2% en 2023 avec le lancement de projets à Oman, au Brésil et en Azerbaïdjan.

Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, a sans doute fait l’impasse sur les déclarations d’Antonio Guterres lorsque le Secrétaire Général de l’ONU pointait du doigt ces entreprises qui promeuvent un modèle économique incompatible avec la survie de l'humanité.

Car les scientifiques sont unanimes : pour limiter le réchauffement climatique global à +1,5°, les productions mondiales de pétrole doivent diminuer de 4% d’ici à 2030, les productions de gaz de 3%. Depuis 2021, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) considère même qu’il est nécessaire de cesser tout nouveau projet d'exploration d'hydrocarbures pour respecter l'accord de Paris. 60% des réserves de pétrole et de gaz fossiles devraient purement et simplement rester sous terre ! Continuer d’investir dans le pétrole et le gaz, c’est participer à l’avènement d’une planète invivable.

Alors ? On parle avec TotalEnergies dont le business plan se résume à investir massivement dans toujours plus d’énergies fossiles et rétribuer ses actionnaires visiblement peu concerné·es par notre avenir commun ? Ou on construit la politique industrielle européenne de demain avec des industries résolument engagées dans la transition écologique ?

Mon choix est fait !