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9 juin 2023

À Mayotte,le gouvernement français compte éradiquer la misère par la violence #SurLeTerrain

L’opération de “reprise” (Wuambushu) à Mayotte agit comme un révélateur de la gestion du 101ème département français par l’Etat : “soigner” la misère par la violence. Censée « lutter contre l’immigration illégale, l’insalubrité publique et l’insécurité sur l’ensemble du territoire », assimilant ainsi immigration et insécurité quand toutes les études démontrent pourtant qu’elles ne sont pas corrélées, l’opération Wuambushu en réalité ne fait qu’attiser les tensions latentes entre les différentes communautés de l’archipel. Attention, spoiler : quand un gouvernement alimente un climat de haine sur son propre territoire, ce n’est jamais bon signe.

Retour sur mon déplacement sur le terrain, à Mayotte, fin avril 2023, et l’évolution de la situation depuis.

Un mois après le début de l’opération de reprise (Wuambushu), l’attention médiatique est redescendue. Pourtant, sur place, les violations des droits perdurent . Après plusieurs arrêtés de suspensions par le tribunal judiciaire de Mamoudzou, les démolitions des bidonvilles ont lieu, Médecins du Monde alerte sur un accès aux soins toujours très compliqué et appelle à sanctuariser les lieux de soins, les procédures d’éloignements en direction des Comores ont repris…

Mayotte, une sous-France en souffrance

À mon arrivée à Mayotte, un profond sentiment de honte m’a envahi, pour ne plus me quitter. Les conditions de vie de nos concitoyen·nes y sont indignes  Dans ce territoire d'outre mer devenu  département français en 2011, 80% des habitant·es vivent sous le seuil de pauvreté. À cette misère, conséquence directe de l’abandon de ce territoire par les gouvernements français successifs, ces derniers ont été incapables de répondre autrement que par la violence. 

À Mayotte, misère et violence s’auto-alimentent dans un cercle vicieux créé et entretenu par l’État français

Le climat de tensions qui règne à Mayotte n’est pas nouveau. Il s’est construit au fil du temps et de l’abandon grandissant de cette région d’outre mer par la métropole, pour arriver aujourd’hui à son paroxysme avec l’opération Wuambushu.

Les bidonvilles, lieux révélateurs du mal-être mahorais

Comment peut-on accepter qu’en France, 40% de la population d’un département soit contrainte de vivre dans des logements informels ? Prétendre régler une situation indigne  en détruisant des quartiers entiers, sans proposer de réelles alternatives ni s’interroger sur les causes de ces constructions précaires, est aussi vain que terriblement violent. Prétendre que démollir à coups de pelleteuses des foyers est une façon de s’attaquer à l’immigration illégale, c’est ignorer que dans ces habitations informelles vivent aussi bien des citoyen·nes français·es que des étranger·es en situation régulière ou des personnes en attente de titres de séjour. C’est laisser croire que seul·es les exilé·es, les criminel·les ou les “indésirables” logeraient dans de telles conditions. C’est tout simplement nier la responsabilité de l’Etat français dans l’abandon de Mayotte et de ses propres citoyen·nes en faisant disparaître les preuves de ce délaissement. C’est cynique. C’est indigne. Malgré cela, l’opération est lancée : les démantèlements doivent commencer. 

Mais le lundi 24 avril au soir, nous apprenons que le Tribunal judiciaire de Mayotte suspend l’évacuation du quartier de Talus 2, dont la destruction devait commencer le 26 avril au matin. La présidente du Tribunal judiciaire, Catherine Vannier, a rendu la justice en toute indépendance malgré une campagne de presse abjecte, montée de toute pièce pour la décrédibiliser et rendre sa décision forcément suspecte : à retrouver ici sur Europe 1 et ici dans Le Figaro.

Suspendue à plusieurs reprises par le tribunal judiciaire de Mamoudzou, la sentence est finalement tombée le 17 mai : Talus 2 va être entièrement détruit. Le problème derrière ce démantèlement, c’est que le Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer mène une chasse aux pauvres. Le témoignage de Fatima Youssouf, comme tant d’autres, le prouve. 

Il faut écouter ce témoignage, cette réalité : “j’ai toujours travaillé, je paye mes impôts comme tout le monde, je croyais en la France des droits humains et de la justice”. Elle dont le mari et les enfants ont la nationalité française. Cette famille qui a investi toutes ses économies depuis des années dans cette maison. 

Face à la pauvreté, la violence va jusqu’à la mort

Les démolitions de ces “bangas” à coup de pelleteuses montrent bien comment le gouvernement ne répond  à la très grande pauvreté que par la violence. Ces destructions le sont matériellement, mais aussi symboliquement. Je pense à cet employé du BTP qui avait demandé à son employeur un congé, pour déménager, et ne pas participer à la destruction de son propre domicile. Une demande qui lui a été refusée. Il s’est  effondré lors de l’opération de destruction de son bidonville, lundi 22 mai, terrassé par un AVC. Il décédera quelques jours après. 

—> Libération revient sur les faits.

S’intéresser à ces bidonvilles, à leurs habitant·es, c’est comprendre que la population mahoraise n’est pas séparée entre d’un côté les citoyen·nes français·es qui habiteraient dans des habitations décentes, auraient des conditions de vies correctes, et de l’autre les personnes forcément étrangères, en situation irrégulière, qui apporteraient pauvreté et ’insécurité. Rien n’est plus faux. Sur place, j’ai pu prendre la mesure de la complexité des dynamiques et des tensions déjà existantes. Tout détruire, dans l’urgence et la brutalité, n'est évidemment pas une solution. Surtout quand les propositions de relogement manquent, que des familles se retrouvent à la rue, avec le risque de perdre leur emploi et pire, de risquer la déscolarisation, déjà bien précaire, des enfants.

La violence insidieuse de l’entrave aux droits

Quand 80% d’une population méconnaît ses droits et rencontre des difficultés majeures d’accès aux avocat·es et aux juridictions, il est légitime de questionner l’application de l’Etat de droit dans un territoire français, dans un territoire européen. C’est pourtant le cas à Mayotte. 

Ma visite du Centre de Rétention Administrative (CRA) de Pamandzi

Dans l’un des plus grands CRA de France, et pourtant le moins doté en personnel, responsable de 40% des éloignements effectués par an par la France, et 63% du nombre total de retenu·es, plusieurs points m’ont interpellé :

  • La durée moyenne de rétention est de 1,2 jours. J’apprends sur la place qu’en réalité, la très grande majorité des retenu·es est éloignée du territoire, c'est-à-dire reconduite à la frontière,  sous 24h. Une durée extrêmement courte, pendant laquelle trouver un·e avocat·e, prendre connaissance de ses droits, les réclamer, et les faire appliquer est simplement impossible. Et pourtant, lorsque ces personnes réussissent à porter un recours, dans 95%, les juges prononcent leur libération immédiate.

  • L’accès au téléphone, enjeu crucial de l’accès aux droits. Si la direction nous dit qu'on leur donne toujours un téléphone portable pour appeler, plusieurs personnes avec lesquelles nous discutons sur place nous ont alertés sur le fait que l'accès au téléphone leur est refusé et qu'elles ne savent pas comment joindre les avocat·es.

  • Lors des interpellations en mer, les mineur·es sont rattaché·es à des adultes présent·es sur la même embarcation de manière arbitraire, pour les placer en retenue et les renvoyer dans les plus brefs délais. La France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l'affaire Moustahi et pourtant, ces pratiques illégales continuent d’exister. Les autorités françaises sur place ne s’en cachent même pas. Elles violent le droit européen et international, bafouent les droits fondamentaux d’enfants sans sourciller. Mon sentiment de honte ne cesse de grandir. Bientôt suivi d’un sentiment de révolte. Mais plus encore d’une envie de partager ce que j’ai vu et surtout une envie d’agir !

Ma visite du Local de Rétention Administrative (LRA) de M’Tsapéré

Le 26 avril,  je me rends dans le LRA de M’Tsapéré, accompagné par des journalistes.  Malgré mon statut de parlementaire français, qui me donne le droit de pouvoir visiter tous les lieux de privation de liberté sur le territoire français sans restriction, on me demande d’attendre l'arrivée du sous-Préfet chargé de la lutte contre l'immigration clandestine, avant de pouvoir entrer dans ce LRA, créé spécialement pour les besoins de l’opération en cours. D’une capacité de 40 places, il n'accueille que des hommes. Durée de rétention moyenne : 15h. Nous constatons que le LRA dispose bien d’un local pour accueillir les avocat·es et leur permettre de s’entretenir avec les demandeurs d’asile.. Le hic : aucune visite d’avocat·es n’a eu lieu depuis l’ouverture de ce LRA. Pire, le sous-préfet nous confirme que les LRA ne sont actuellement pas aux normes. Nos visites se poursuivent. 

Direction le centre pénitentiaire de Majicavo

Nous sommes reçus par le Directeur, qui nous expose la situation et nous fait visiter les lieux. Le jour de notre visite, le centre pénitentiaire est rempli à 205% de sa capacité, avec 585 personnes pour une capacité de 278 personnes. Le taux d’occupation le plus élevé de France ! 3,5% de la population carcérale française totale est à Mayotte. Un autre record pour Mayotte, une autre discrimination pour ses habitant·es.

50% des personnes incarcérées sont  de nationalité française. 
Sur les 50% d’étrangers, 95% sont des passeurs

Dans le centre pénitentiaire de Majicavo, le lien entre immigration et délinquance, qu’affectionne pourtant le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin, ne résiste pas longtemps à la réalité et aux chiffres. De fait, les personnes d’origine étrangère incarcérées pour des actes de délinquance ne représentent qu’un pourcentage minime de la population carcérale du centre pénitentiaire. En réalité, elles sont principalement inculpées en raison de leurs activités de passeurs : à bord de petites embarcations traditionnelles de pêche, les kwassas-kwassas, elles ont fait “passer” la frontière, contre d’importantes sommes d’argent, à des enfants, des femmes, des hommes qui fuient la misère et la guerre et pensent trouver refuge et sécurité à Mayotte. !

La visite de la prison est éprouvante : nous découvrons des conditions de vie extrêmement difficiles. Dans des cellules de 9m2, 5 personnes cohabitent. On place jusqu’à 4 personnes dans des cellules individuelles, 6 personnes dans des cellules conçues pour deux. Au milieu de la chaleur et du bruit permanent, des conflits entre détenus éclatent régulièrement. L’opération Wuambushu aggrave les conditions de détention en raison de cette surpopulation, quand aucune amélioration des conditions n’est mise en œuvre. 

Les conditions de rétention dans ces lieux de privation de liberté, que ce soit en CRA, en LRA ou en prison, sont une forme de violence qui ne dit pas son nom. Il faut le rappeler, les personnes retenues en centres et lieux de rétention n’ont commis aucun délit ! Elles n’ont donc été ni jugées ni condamnées. Leur seul “tort” ? Avoir quitté leur pays à la recherche d’une vie meilleure. Un droit humain fondamental, sanctuarisé par la Convention de Genève notamment, certainement pas un crime.  Pourtant, les autorités françaises entravent l’accès à leurs droits de par cette durée de rétention, d’une incapacité à être mis en contact avec des avocat·es, d’un manque d’information sur leurs droits et recours possibles, Ce faisant, les autorités françaises à Mayotte, en suivant les ordres du gouvernement, fragilisent dangereusement l’Etat de droit.

A Mayotte, ces atteintes aux droits fondamentaux, quotidiennement piétinés sont un miroir grossissant de ce qui arrive petit à petit en métropole et partout en Europe : pauvreté qui augmente, sentiment d’abandon, exilé·es devenu·es boucs émissaires, impunité politique, violences envers les plus vulnérables…

Les entraves à l’accès aux soins, preuve supplémentaire du délaissement complet du territoire Mahorais

Depuis le 4 mai, des blocages et fermetures des services de santé ont eu lieu pour différentes raisons : manifestation, fermeture décidée par la direction de l’hôpital, droit de retrait des professionnel·les… et ont gravement entravé l’accès aux soins. Si les blocages sont ponctuels, ils sont stratégiques : toujours aux heures de forte affluence et de manière répétée, ils ont une réelle incidence sur la prise en charge des patient·es, et sur la vulnérabilité des personnes nécessitant des soins, qu’ils soient urgents ou chroniques.

Alors que les autorités indiquent un retour à la normale depuis cette semaine, deux problèmes majeurs subsistent :

  • D’abord, l'absence d'information officielle sur l’ouverture ou non des lieux de soins. Les patient·es ne se déplacent pas de peur de trouver porte close et ont ainsi moins recours aux soins, avec les conséquences dramatiques que cela pourraient avoir pour les patient·es les plus vulnérables

  • Ensuite, si ces blocages sont aujourd’hui levés, quelle assurance avons-nous qu’ils ne se répètent pas à l’avenir, les autorités ne faisant rien pour les prévenir ou les empêcher ?

La solution n’est pas de “gérer” au cas par cas ces blocages qui entravent l’accès aux soins. Elle est de s’attaquer à la problématique de fond qu’est l’accès aux soins à Mayotte ! Pour ça, Médecins Du Monde appelle à “la sanctuarisation des lieux de soins et la nécessité de les conserver". 

Un territoire européen de non-droit, un département français des exceptions

Devenu département français le 1er avril 2011 et région ultrapériphérique de l’Union européenne depuis janvier 2014, Mayotte doit obéir aux normes françaises et européennes. Et pourtant : à Mayotte, l’exception est la règle. Le droit appliqué en métropole est ici “adapté” pour n’être plus qu'une somme de dérogations, d’exceptions à la norme, qui entraînent des privations graves des droits fondamentaux” selon la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) 

En cause notamment, le droit des étranger·es

Avec des titres de séjour valides uniquement sur l’île, un accès à la nationalité française plus contraignant et que Gérald Darmanin souhaite rendre encore plus difficile d’accès, des délais de demandes d’asile réduits, des contraintes posées à la circulation des mineur·es étrangers, l’absence d’allocation pour les demandeur·euses d’asile et  d’aide à leur retour, ou encore des contrôles d’identité sur l’intégralité du territoire, quand en métropole ils ne sont autorisés qu’ à moins de 20 km d’une frontière, ou dans lieux spécifiques (les décrypteurs du Monde résument ces nombreuses dérogations) : Mayotte est une zone où toutes les exceptions sont permises. 

Avec à la clé : un territoire fragilisé où les tensions sociales sont exacerbées ; où le gouvernement français contribue à faire prospérer la misère et la pauvreté, à creuser les inégalités, à légitimer les discriminations et à attiser les rancœurs bien plus qu’à y mettre un terme. Un territoire où à l’apaisement et au renforcement des services publics, les autorités françaises préfèrent une violence protéiforme, parfois évidente, parfois insidieuse, mais toujours dangereuse puisqu’elle nourrit les tensions entre les habitant·es de l’île. 

Si j’ai quitté Mayotte, je continue de suivre la situation de très près. Notamment l’exacerbation des tensions dans un contexte particulier : celui de la crise de l’eau, qui s’accompagne de conflits sur l’accès à la ressource. À partir du 12 juin, les coupures d’eau auront désormais lieu 4 jours par semaine : 

À suivre !