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13 septembre 2023

Mémorandum UE-Tunisie : la faute d’Ursula von der Leyen

Le 16 juillet dernier, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, scellait symboliquement d’une poignée de main avec le Président tunisien, Kaïs Saïed, un nouveau deal entre l’Union européenne et la Tunisie. Pourvu de cinq piliers qui vont de la stabilité macroéconomique, à l’économie et le commerce, en passant par la transition verte, les rapprochements entre les peuples et la migration, les objectifs véritables de ce partenariat stratégique ne trompent personne.

D’abord parce que Ursula von der Leyen est arrivée à Tunis flanquée de Mark Rutte, ancien premier ministre néerlandais récemment défait et surtout, de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni. Elue sur un programme national conservateur et profondément xénophobe, la dirigeante du parti d’extrême-droite “Frères d’Italie” (Fratelli d'Italia) n’a jamais fait mystère de ses intentions en matière migratoire, elle qui promettait purement et simplement pendant la campagne électorale de 2022 d’instaurer un blocus naval des côtes libyennes d'où partent les migrants. On ne saurait être plus claire.

Ensuite, parce que si l’Union européenne avait vraiment comme objectif de soutenir l’économie tunisienne ou de promouvoir la transition verte, tout en permettant le contrôle démocratique du Parlement européen, d’autres options existaient, notamment en amendant l’accord d’association UE - Tunisie*.

En réalité, derrière ce “partenariat stratégique”, c’est la politique migratoire criminelle de l’Union européenne qui avance à peine masquée.

Sur le modèle de l’accord passé en 2020 avec la Libye sur la protection des frontières et l’interception des exilé·es en mer, il s’agit une fois encore d’externaliser la gestion de nos frontières extérieures à d’autres pays. À coups de millions, soustraits au contrôle des député·es européen·nes, l’Union européenne se décharge de ses obligations en matière d’asile tout en se lavant les mains du respect des droits fondamentaux des exilé·es.

La réalité, c’est qu’à travers cet “accord stratégique”, il s’agit purement et simplement d’empêcher les départs de bateaux d’exilé·es vers l’UE depuis les côtes tunisiennes. Et tant pis si cela implique de sous traiter cela à un régime autoritaire, dirigé de main de fer par un président qui n’hésite pas à qualifier les exilé·es subsaharien·nes de “hordes de migrants clandestins”, sources de “violence, de crimes et d’actes inacceptables”.

Alors, concrètement, qu’attend l’Union européenne de la Tunisie et de ce partenariat ?

Ces millions d'euros d’aide financière sont censés permettre de : 

🔸 Renforcer les contrôles aux frontières, financer des bateaux pour les garde-côtes tunisien·nes et empêcher les exilé·es d’atteindre l’Union Européenne
🔸 S’attaquer aux activités des passeurs
🔸 Lutter contre l’immigration “illégale”
🔸 Augmenter le nombre de retours de Tunisien·ne·s n’ayant pas le droit de rester en Europe 
🔸 Faciliter les retours de ressortissant·e·s d’autres nationalités depuis la Tunisie vers des pays tiers 

Des demandes très similaires à celles imposées à la Libye, dont on sait les nombreux drames, en mer et ailleurs, qu’elles ont engendrés. Des drames et des violences systémiques à l’encontre des exilé·es qualifiés par les expert·es de l’ONU de crimes contre l'humanité. Comme avec la Libye hier, l’Egypte peut-être demain, la Tunisie aujourd’hui, en signant ce type d’accords et en exigeant l’imperméabilité des frontières coûte que coûte, l’Union Européenne se rend complice des crimes passés et futurs.

Car la Tunisie n’est pas un pays sûr. Nous parlons ici d’un régime autoritaire, où les violations des droits humains, où les violences contre les exilé·es d’Afrique subsaharienne commises par les autorités se multiplient et s’aggravent continuellement, où les exilé·es déclarent préférer mourir en mer que d’y retourner.

Le geste d’Ursula von der Leyen est une faute politique et une trahison des valeurs et objectifs de l’Union européenne pourtant gravés dans le marbre dans les articles 2 et 3 du traité de Lisbonne.

Serrer la main du Président Kaïs Saïed :

  • C’est fermer les yeux sur son régime répressif, sur sa trahison des espoirs et des demandes exprimés par les Tunisien·nes en 2010;

  • C’est cautionner le traitement inhumain infligé aux exilé·es, femmes, enfants, hommes bloqué·es aux frontières désertiques du pays, longtemps abandonné·es sans eau, ni nourriture, ni abri;

  • C’est perpétuer une politique migratoire abominable et criminelle qui a depuis longtemps fait la preuve de son échec et de sa violence, c’est ne pas tirer de leçons des accords précédents;

  • C’est être complice de ces régimes et des violences qu’ils infligent aux plus vulnérables;

  • C'est mettre en danger plus encore les humanitaires et augmenter les cas de criminalisation des ONG de recherche et sauvetage en mer;

  • C’est s’affranchir de nos responsabilités internationales et humanitaires, mépriser nos obligations en matière de droits humains.

Ce nouvel accord avec le régime autoritaire de Kaïs Saïed est indigne !

Profiter des grandes difficultés économiques et sociales de pays tiers autoritaires pour leur sous-traiter la chasse aux exilé·es contre quelques millions d’euros est abject en plus d’être totalement inefficace.

Alors que l’Union européenne prétend aider économiquement la Tunisie, je ne peux y voir qu’une Europe néo-coloniale qui emploie les pires méthodes et viole l’idéal européen.

Je le dis souvent ici ou lors de mes interventions publiques, empêcher l’arrivée des exilé·es sur le territoire européen, externaliser la gestion et le contrôle de nos frontières extérieures se fait au prix de vies humaines, sans jamais ébranler la volonté de celles et ceux qui fuient la misère et la guerre.

Les politiques mises en œuvre ces vingt dernières années ont lamentablement échoué. S’obstiner à durcir de plus en plus des politiques inefficaces n’est pas seulement criminel, c’est profondément stupide.

Les politiques européennes doivent être entièrement repensées. Nos objectifs et nos financements doivent être dédiés à la mise en place d’itinéraires légaux et sûrs et légaux pour celles et ceux qui tentent de franchir les frontières. 

Une politique migratoire européenne, humaine, digne, fondée sur le respect des droits fondamentaux et du droit d’asile, ça n’a jamais été tenté. Ça vaudrait le coup d’essayer. Chiche ?