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23 octobre 2023

De Menton à Vintimille, les exilé·es face aux refoulements et au déni d’accueil à la frontière franco-italienne

Menton, “La perle de la France”. C’est ce qu’indique le panneau à l’entrée de cette petite ville de la Côte d’Azur. Connue pour sa mer Méditerranée, ses façades colorées et… ses refus d’entrée d’exilé·es. Alarmé par les violations du droit d’asile à la frontière franco-italienne, je me suis rendu sur place les 11 et 12 octobre 2023, pour une mission d’observation des pratiques à la frontière aux côtés de l’Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers). Retour de terrain.

1 - Le contexte

Parfois seules, parfois par groupes de deux ou trois, je croise plusieurs personnes sur ma route entre Menton de Vintimille. Ce n’est pas un hasard de voir ces exilé·es marcher sur le trottoir, au bord de la route qui relie la France à l’Italie. Contraint·es à l’exil, ces femmes, ces hommes et ces enfants ont dû fuir des violences, des persécutions et des atteintes graves à leurs vies. Ils et elles n’ont pas eu d’autre choix que de partir, quitter leur pays, leur famille, en quête de protection et de sécurité.

Ici, entre Menton et Vintimille, les exilé·es font face au déni d’accueil des deux côtés de la frontière, mais aussi à des privations de liberté illégales et indignes.

Quotidiennement interpelé·es, enfermé·es, et refoulé·es, les associations et avocat·es se voient refuser l’accès aux endroits où les exilé·es sont retenu·es. Je me suis rendu sur place, profondément inquiet par ces violations du droit international, européen et français.

2 - Le déploiement de la border-force de Gérald Darmanin : une politique d’intimidation incohérente avec la situation sur place

Lorsque j’arrive sur place pour cette mission d’observation, je commence par me rendre du côté italien à Vintimille, à la Caritas (un lieu d’accueil et d’aide aux exilé·es où plusieurs associations sont présentes), où je rencontre notamment les solidaires de Médecins Sans Frontières. 

Gérald Darmanin, qui aime autant attiser les préjugés et les peurs que manipuler la vérité, avait affirmé, s’asseyant une fois de plus sur le droit, que la France « n'accueillerait pas de migrants qui viennent de Lampedusa ». Le Ministre de l’intérieur prophétisait l’arrivée en France d’une grande partie des 7000 exilé·es débarqué·es mi-septembre sur la petite île italienne de Lampedusa. Une fois de plus,la réalité du terrain lui donne tort. Aucun pic d’arrivées en provenance de Lampedusa n’a été constaté dans la région. En revanche, camionnettes bleu marine et forces de l’ordre sont omniprésentes, et les contrôles des trains SNCF qui arrivent à Menton en provenance de Vintimille, systématiques.

Depuis le débarquement d’exilé·es à Lampedusa en septembre, ce qui a augmenté à la frontière franco-italienne ce n’est pas le nombre d’arrivées : c’est le déploiement des forces de police des deux côtés de la frontière.

Les solidaires de MSF se rendent chaque matin à la sortie de la Police aux Frontières (PAF) de Menton où des exilé·es ont passé la nuit enfermé·es dans des algécos. Les solidaires apportent soutien psychologique et humanitaire, en accueillant et en distribuant des petits-déjeuners. Médecins Sans Frontière accompagne aussi les exilé·es sur le territoire dans leurs procédures de demande d’asile. Mais bien souvent, ils et elles sont refoulé·es, menotté·es par la PAF de Menton, avant d’être renvoyé·es vers l’Italie. Refoulées tour à tour par l’Italie et la France, les personnes en situation d’exil à la frontière franco-italienne font face à un déni d’accueil cruel.

3 - Du côté de Nice, à la rencontre des associatif·ves et avocat·es de la région

Je profite de mon déplacement pour me rendre à Nice, expliquer les raisons de mon déplacement au micro de la radio locale RCF Côte d’Azur (que vous pouvez écouter via ce lien), et rencontrer les solidaires, associatif·ves et avocat·es sur place, pour en savoir plus sur leurs actions sur le territoire. Seront notamment évoquées les problématiques liées à la crise de l’hébergement, les refoulements, notamment de mineur·es non-accompagné·es (les “MNA”), et les obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui leur sont délivrées, ou encore la question des jeunes filles en exil. 

À la frontière italienne, les filles représentent 40% des arrivées. Côté français, elles ne sont plus que 15%. La question des jeunes filles en exil est cruciale. Les suspicions de réseaux de prostitution sont une première piste, mais ne peut être le seul facteur explicatif. Leur sécurité et leur protection est un devoir de la France, auquel l’Etat manque cruellement.

Nous reparlons également de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne et de l’effet qu’elle aura à la frontière franco-italienne. Cette décision du 21 septembre 2023 condamnait les pratiques de la France (interpellations, enfermement, refoulements quotidiens des exilé·es en violation du droit international, européen et français) à la frontière franco-italienne et rappelait le gouvernement français à ses responsabilités.

Pour en savoir plus, je vous explique tout cela dans cet article : La chaîne de la solidarité : ma réponse à la “border force” de Gérald Darmanin à la frontière franco-italienne

4 - Direction Menton, pour la mission d’observation

J’ai passé la nuit ici, dès que j’ai pu sortir, on m’a donné un papier, et un refus d’entrée” : c’est ce que nous explique en anglais une jeune fille originaire du Nigéria, que l’on croise sur la route entre Menton et Grimaldi, où se trouvent les PAF française et italienne. Elle a passé la nuit dans un des lieux de “mise à l’abri” de la police à la frontière. Ces algeco, au nombre de 3 avant l’épisode du 15 septembre à Lampedusa, sont désormais 9. Les 6 nouveaux, pas encore aux normes, ne sont pas utilisés, le “boom spectaculaire” du nombre d’arrivées prédit  par le mauvais devin Gérald Darmanin n’ayant pas eu lieu…

Attention,  “subtilité”, en réalité un détournement de la loi : ces lieux dits de mise à l’abri et non de rétention, bien qu’ils en aient toutes les caractéristiques, ont un statut juridique différent et… n’entrent dès lors pas dans la catégorie des lieux de rétention que peuvent visiter librement et sans autorisation préalable les parlementaires français·es (député·es, sénateur·rices, eurodéputé·es).

Cette même jeune fille a été refoulée au petit matin, renvoyée dans la rue, sans plus d’explication. “Il n’y avait pas d’interprétariat, je ne parle pas français et eux, ne parlaient pas anglais”. Or, les informations concernant le droit et la demande d’asile doivent pouvoir être fournies dans une langue que la personne concernée doit pouvoir comprendre. 

C’est le moment de toquer à la porte de la PAF de pont Saint-Louis à Menton. Je suis accompagné d’une équipe de journalistes de France 3 PACA (Provence Alpes Côte d’Azur) et d’un journaliste Suisse.

Si nous n’aurons pas accès aux lieux de “mise à l’abri” (comprendre : rétention, où les mineur·es sont enfermé·es jusqu’à 4 jours) par la PAF de Menton, nous aurons tout de même l’occasion de nous entretenir avec les agents sur place. 

Conditions d’enfermement, conditions d’accueil et d’aide proposée aux exilé·es, conditions d’accès à la demande d’asile, refoulements, question des mineur·es isolé·es, conséquences de la décision de la CJUE : je les questionne pour mieux comprendre la manière dont le droit est appliqué - ou bafoué - à la frontière. 

En sortant du poste de la PAF, j’aperçois deux solidaires, en mission d’observation. Ils sont situés à quelques mètres du poste, et scrutent attentivement ce qu’il s’y passe. La police est désormais habituée à leur présence régulière aux différents postes aux frontières. Leur vigilance permet d’en savoir plus sur le nombre de personnes refoulées, les effectifs policiers et les différentes pratiques à la frontière. Les solidaires qui se prêtent à ces missions d’observation aident à ce que le droit soit appliqué et respecté, et à documenter toute violation éventuelle.

Je participe notamment à une observation au niveau de la gare de Menton Garavan. Ici, des forces de police sont systématiquement présentes à l’arrivée d’un TER en provenance de Vintimille : la gare de Menton Garavan étant le premier arrêt en France. Entre 10 et 15 policier·ères arrivent sur le quai, et viennent vérifier qu’aucun exilé·e ne se trouve dans le train. Si des exilé·es sont présent·es à bord, la PAF les conduit en dehors du train, et leur demande de noter sur un papier leur nom, prénom, date de naissance et pays d’origine. Ils et elles sont ensuite conduits à la PAF de pont Saint-Louis. 

Pour en savoir plus sur cette observation, Nice Matin m’a accompagné. L’article est en ligne ici :

https://www.nicematin.com/faits-de-societe/une-chaine-de-solidarite-pour-contrer-la-border-force-la-politique-migratoire-est-un-echec-total-878865 

copyright : Cyril Dodergny

5 - La frontière franco-italienne : dans cette zone de non-droit, l’urgence de la solidarité

Mes observations le confirment : la frontière franco-italienne est une zone de non-droit, où les violations sont devenues légion. Ce n’est pas nouveau : dès 2015, des acteur·ices de la société civile dénonçaient des privations de liberté illégales et indignes des exilé·es. Les associations et les avocat·es se voient refuser l’accès à ces lieux d’enfermement, où les exilé·es sont retenu·es quotidiennement. 

Venir sur place, en tant qu’élu·e, est une manière d’agir à leurs côtés et de les soutenir. Dans les lieux de rétention, nous avons le droit d’entrer et de constater les conditions d’enfermement. La PAF de Menton pont Saint-Louis use d’une ruse : une note interne de mai 2019, qui encadre le droit de visite des parlementaires dans les lieux privatifs de liberté et notamment dans les locaux de mise à l’abri, pour lesquels nous devons demander une autorisation. Les visites spontanées n’étant plus possibles, les conditions dans lesquelles les visites sont effectuées sont bien différentes. Ne cédons-pas !

En tant qu’élu·es, soyons présent·es à la frontière. Venons nombreux·ses, relayons-nous chaque semaine. Il faut observer et documenter les pratiques des forces de l’ordre aux différents postes frontières, en se rendant régulièrement sur place. Les violations du droit international, européen et français sont inadmissibles et nous ne baisserons pas les bras.

Une chaîne de solidarité doit se mettre en place et elle est urgente. Nous, élu·es, soutenons toutes les personnes engagées s sur le terrain. Ne les laissons pas tomber. Ce sont elles, les garantes de la paix. 

Pour en savoir plus sur la chaîne de la solidarité :

https://www.damiencareme.fr/a-chaud/467-la-chaine-de-la-solidarite-ma-reponse-a-la-border-force-de-gerald-darmanin-a-la-frontiere-franco-italienne.html


1- Article 43 de la Directive “procédures”, qui autorise le traitement des demandes d’asile à la frontière, sous réserve que soient respectées certaines garanties fondamentales, telles que l’accès à l’information, à un interprète ou à un entretien personnel. (Article R-351-1 du CEDESA en droit français).