C’est le nombre de victimes de l’amiante chaque année en France.
Un fléau qui ne touche pas seulement notre pays : en Europe, l’amiante est responsable de 90.000 décès par an.
Et qui frappe principalement les travailleur·euses : 80% des cancers professionnels dans l’UE sont causés par l’amiante.
Pour les victimes de l’amiante, justice doit être rendue.
Pour éviter de nouvelles victimes, les travailleur·euses doivent être mieux protégé·es.
C’est l’objectif des nouvelles règles adoptées le 3 octobre.
Quelles protections pour les travailleur·euses ?
Le Parlement européen a adopté mardi 3 octobre une révision de la directive européenne dédiée à la protection des travailleur·euses contre les risques liés à une exposition à l’amiante. Les avancées de ce texte doivent beaucoup aux efforts de ma collègue Véronique Trillet-lenoir. Médecin cancérologue, elle savait les ravages de l’amiante, la souffrance des malades. Elle est décédée cet été et je veux ici rendre hommage à son engagement. Cette législation améliore considérablement la protection de celles et ceux dont le métier les expose à des risques accrus d’exposition à l’amiante.
Je vous explique en détail les principales victoires obtenues :
Dans toute l’Union européenne, la limite d’exposition des travailleur·euses à l’amiante va être divisée par 10. Au-delà de 10.000 fibres d’amiante – la partie la plus cancérigène - par mètre cube, des mesures de protection dédiées supplémentaires, comme un confinement des plaques, doivent être mises en place. Cette limite était jusqu’à présent de 100.000 et n’avait pas été mise à jour depuis 2003 !
S’il y a des raisons de croire que des matériaux contenant de l’amiante qui n’ont pas été identifiés avant les travaux ont été dérangés de manière à générer de la poussière (celle qui contient les fibres), les travaux doivent immédiatement être interrompus.
Pour en finir pour de bon avec l’amiante, la nouvelle législation donne la priorité à l’élimination de l’amiante. Ceci afin d’éviter que nous repoussions le problème indéfiniment en encapsulant ou en scellant l’amiante par exemple.
Enfin, les employeur·euses seront tenus d’effectuer un « dépistage » obligatoire de l’amiante en présence avant le début du chantier. Connaître le danger est de loin la meilleure manière de s’en protéger. Obligation leur est faite de former leurs employé·es qui risquent d’être exposé·es à l’amiante auprès d’organismes certifiés.
Ce texte est une belle avancée. Je me réjouis que l’Union européenne prenne enfin au sérieux les dommages liés à l’amiante. Dans le Dunkerquois et ailleurs, j’ai vu les vies brisées par ce fléau. Tout doit être fait pour éviter l’exposition à l’amiante des travailleur·euses et ceux et celles qui les entourent. Vous pouvez compter sur moi pour continuer à mener ce combat.
Dans le Dunkerquois, chaque habitant·e ou presque connaît de près ou de loin une victime de l’amiante. Dans des régions moins industrielles, l’amiante a fait un temps les titres des journaux, au gré de telle ou telle rénovation de bâtiments publics, sans que l’on ne comprenne bien ni son usage, ni son intérêt. Et bien moins encore son utilisation massive alors même que très vite, des voix se sont élevées pour dénoncer sa dangerosité.
C’est quoi l’amiante ?
L’amiante est une famille de fibres minérales présentes à l’état naturel dans certaines roches. Baptisé le « minéral du vingtième siècle », ce matériau fut largement utilisé partout dans le monde. Bon marché et ininflammable, il résiste aux pressions, aux frictions, à l’humidité et aux agents chimiques. Un matériau “parfait” auquel les secteurs de la construction et du bâtiment, recoureront abondamment, notamment sous sa forme amiante-ciment. On le retrouve toujours aujourd’hui dans des plaques ondulées, des revêtements de toitures, des gouttières, des conduits d'évacuation ou de chauffages. Toute rénovation de bâtiments doit donc se faire dans un cadre strict et sécurisé.
Ce qui rend l’amiante dangereux, c’est sa nature fibreuse et la taille minuscule de ses fibres. Lorsqu’elles sont inhalées, les fibres d’amiante peuvent entraîner cancers du poumon, de la plèvre ou des ovaires. Agent cancérigène prouvé et très dangereux, l’amiante a été totalement interdite dans l’Union européenne en 2005. Mais ses dégâts sanitaires et humains subsistent encore aujourd’hui. Les maladies causées par l’amiante continuent de tuer près de 90.000 personnes chaque année en Europe. Les scientifiques estiment que la mortalité continuera à s’accroître dans les années à venir en raison de la très longue période de latence entre l’exposition et l’apparition des maladies, 30 ans en moyenne.
Mais alors pourquoi avoir utilisé l’amiante pendant si longtemps ?
Dans le Dunkerquois, d’où je viens, les dommages de l’amiante sont encore bien trop présents. Sur le chantier naval ou dans les usines sidérurgiques de Dunkerque, les ouvriers y étaient continuellement exposés, sans aucune protection. Ils en sont presque tous morts. De l’amiante, il y en avait partout, dans les plaques de métal que les ouvriers maniaient, dans les plaquettes de frein, dans les chaudières, les installations électriques. Partout et tellement que ceux qui sont encore en vie racontent que « les bleus des ouvriers devenaient blancs [de poussière d’amiante] ». Épouses, familles et voisin·es en contact avec les personnes et leurs vêtements de travail pouvaient être contaminé·es. Les victimes probables de l’amiante dans la région se chiffrent à des dizaines de milliers de personnes.
Alors qu’elle est utilisée massivement à partir de 1860, les premières alertes sur sa dangerosité et le lien entre amiante et surmortalité pulmonaire datent de 1906 ! Pourtant, il faut attendre 1973 pour que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classe cancérigènes toutes les variétés d’amiante. En France, vingt ans et les révélations d’un rapport d’expertise de l'Inserm prédisant au moins 100 000 morts à l’horizon 2025-2030 plus tard, l’amiante est interdite en 1996.Sept autres pays européens l’avaient précédée dans cette interdiction. En 2005, c’est au tour de l’Union européenne de prononcer son interdiction complète.
Le fléau de l’amiante aurait pu être évité. Mais des industriels, des lobbys, des médecins et des responsables politiques ont volontairement retardé l’interdiction du matériau en France, se rendant directement coupables de la mort de milliers de personnes.
Les industriels ont passé des décennies à minimiser le danger, pour empêcher qu’on les prive de leur « or blanc ». Un lobby a été financé pour ça : le Comité permanent amiante (CPA). Ce Comité a encouragé pendant 20 ans, avant sa dissolution en 1995, un « usage raisonné » de l’amiante au nom de la préservation de l’emploi industriel. Le Sénat a jugé en 2005 que cette organisation avait été un « modèle de lobbying et de manipulation ». De nombreux syndicats et médecins se sont tus, face à un fléau évident.
Alors qu’au niveau européen se discute actuellement le renouvellement de l’autorisation du glyphosate - un herbicide dangereux classé comme cancérigène probable - les atermoiements sur l’interdiction de l’amiante, la priorité donnée alors aux enjeux économiques plutôt qu'aux conséquences sanitaires, le poids disproportionné accordé aux arguments des industriels, et les morts qui s’en suivirent, semblent n’avoir pas servi de leçons. Cette recherche de profit et ce cynisme me dégoûtent !
Il m’importe également ici de saluer le combat des veuves de l’amiante
Dans le département du Nord, le taux d’incidence des cancers est supérieur de 25% à la moyenne nationale, officiellement à cause du tabac, selon Santé publique France. Ce déni de réalité, doublé d’un certain mépris de classe, est insupportable. Depuis 25 ans, les veuves des ouvriers des chantiers navals ou des usines sidérurgiques de Dunkerque se battent pour obtenir un procès pénal.
Plus de 2.000 victimes de l’amiante, organisées au sein de l’Ardeva (association régional de défense des victimes de l’amiante du Nord- Pas-de-Calais), ont déposé plainte par citation directe pour faire juger au pénal 14 personnes (anciens représentant·es de ministères, dirigeant·es d’entreprises, médecins) qui auraient entravé le processus d’interdiction de l’amiante.
Le tribunal correctionnel de Paris a prononcé le 19 mai 2023 l’irrecevabilité de la procédure. Il n’y aura donc pas de procès pénal dans l’immédiat. Le combat continue !
Un procès ne fera revenir personne. Mais c’est pour les victimes et leurs proches l’occasion de dénoncer et prouver les responsabilités de chacun·e, responsables politiques, industriel·les etc., de faire entendre leur calvaire, d’obtenir des excuses, peut-être. Un procès, c’est aussi dire : “si vous répandez des produits dangereux pour la santé humaine, vous serez puni·es”. A l’heure, où la Commission européenne s’apprête à renouveler pour 10 ans l’autorisation de marché du glyphosate, cancérigène avéré épandu au péril des vies des agriculteur·rices et de la biodiversité, ce message est primordial.