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Le concept « d’instrumentalisation », une proposition contreproductive pour gérer les migrations en Europe

1 décembre 2023

Alors que les négociations sur le pacte européen asile et migration se poursuivent et s’intensifient en cette fin d’année, je vous propose un décorticage régulier de ce qu’il se joue en ce moment, au niveau européen, sur la gestion des migrations. Aujourd’hui, focus sur le concept d’instrumentalisation”, et les fausses bonnes idées de la Commission européenne. 


L’"instrumentalisation des exilé·es”, qu’est ce que c’est ? 

Ce concept désigne la manière dont, pour tenter de déstabiliser l’Union européenne, certains pays tiers voisins exploitent les personnes en besoin de protection. C’était le cas en 2020 en Turquie, ou encore en 2021 en Biélorussie. Face à cette “instrumentalisation” des personnes exilées, certains Etats membres ont tenté de réagir en adoptant des mesures à la frontières. Celles-ci étant disparates et souvent contraires au droit européen, la Commission européenne a voulu harmoniser ces pratiques et avoir la main sur la situation. 

C’est de cette manière que naît en 2021 la proposition de la Commission d’un “Règlement visant à faire face aux situations d’instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l’asile”, ou, Règlement instrumentalisation. Depuis 2021, je me bats contre cette proposition, puisque ce texte ignore les traités européens, et propose de fausses solutions

La subtilité de ce Règlement ? Aucune étude d’impact n’a été réalisée au préalable par la Commission, qui propose d’avancer les yeux bandés pour répondre à un enjeu gigantesque : celui de la protection des personnes. C’est donc le Parlement européen qui a dû, à postériori, demander à réaliser une étude à l’EPRS, son centre de recherche.


Contraire au droit, le Règlement instrumentalisation doit être supprimé

Alors que les sanctions devraient peser sur les pays tiers, qui jouent sur des situations migratoires pour faire du chantage à l’UE, l’utilisation du concept d’instrumentation” par la Commission européenne, et les Etats membres qui défendent cette proposition, criminalise et punit les personnes exilées, qui sont instrumentalisées. C’est la double peine pour celles et ceux qui cherchent refuge et protection ! Ce texte est indéfendable ! 

C’est pourquoi, au Parlement européen, je me bats avec mon groupe contre ce texte, en demandant sa suppression pure et simple. Nous n’acceptons pas de négocier un texte qui, par nature, est contraire au droit européen, au droit international, mais aussi contraire aux droits fondamentaux et au droit humanitaire ! Tandis que notre Etat de droit ne cesse d’être menacé et mis à l’épreuve, la responsabilité des institutions européennes dans ce délitement est hautement inquiétant. 

D’un point de vue légal, il n’est d’ailleurs pas possible pour le Parlement européen de s’exprimer sur le sujet et d’entamer les négociations avec les Etats membres, puisque le Parlement n’a pas de position commune sur le Règlement instrumentalisation. Impossible à négocier, en violation du droit, la Commission européenne et les Etats membres doivent abandonner ce projet de Règlement.


Le concept d’"instrumentalisation” s’immisce dans le pacte asile et migration !

Dans l’impossibilité d’entamer les discussions, la Commission et le Conseil ont tenté d’agir d’une autre manière : ceux-ci poussent pour réintégrer le concept d’"instrumentalisation” dans d’autres textes liés aux migrations, actuellement en négociation dans le cadre du Pacte européen sur l’asile et les migrations. Concrètement, comment le voit-on ? 

  • Par exemple, la Commission a repris certains éléments sur l’instrumentalisation, et les a intégrés à sa proposition sur la réforme du Code Frontière Schengen. Le Parlement européen a donc dû entièrement les supprimer dans sa proposition amendée. Puis ce fut au tour du Conseil (les Etats membres), de réintroduire ces éléments dans sa version, et pousser à les réintégrer lors des trilogues. 

Ce n’est pas tout ! 

  • Le Conseil a également amendé la proposition de Règlement “Crise” (l’un des texte qui compose le Pacte asile et migrations, actuellement en négociation), en ajoutant certains éléments relatifs à l’instrumentalisation des exilé·es. Lors des négociations, au Parlement européen, nous avons dû refuser d’aborder ces sujets, puisqu’ils ne font pas partie de la position que nous avons adoptée, et sur la base de laquelle nous négocions. L’inquiétude reste entière de mon côté, puisque certains groupes politiques risquent de finir par céder et d’accepter d’adopter certains éléments sur l’instrumentalisation dans ce Règlement, pressés d’arriver rapidement à un compromis sur le Pacte. L’urgence ne justifie pas l’illégalité et l’inhumanité ! 

Je me battrai jusqu’au bout, pour que la dignité et la justice l’emportent

La situation actuelle est très préoccupante : alors que nous nous battons, au Parlement, pour que ce Règlement Instrumentalisation ne voit pas le jour et soit abandonné, la Commission européenne et ses Etats membres tentent par tous les moyens de l’intégrer dans la législation européenne, de manière parfois très insidieuse. Nous restons extrêmement alertes face à ces pratiques, et ce qu’elles impliquent pour l’Etat de droit. 

Cette proposition n’est d’aucune efficacité face aux crises et aux phénomènes d’instrumentalisation des personnes exilées. L’étude d’impact (la seule, donc) réalisée par le Parlement européen est formelle : le Règlement instrumentalisation et ce qu’il contient est parfaitement incompatible avec le droit international, le droit européen et les droits fondamentaux. 

Surtout, les outils pour réagir à ces situations existent déjà, et sont disponibles. C’est le cas de la directive “protection temporaire” dont ont bénéficié les ukrainien·nes en quête de refuge lorsque la guerre a éclaté dans leur pays suite à l’offensive russe : cette approche est efficace et possible, lorsque les bons choix politiques sont mis en œuvre. Non, les dérogations ne doivent pas avoir lieu. Oui, il faut se saisir d’outils efficaces et justes, pour assurer la dignité humaine. 

Le combat continue pour un accueil digne des chercheur·euses de refuge.