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En France et en Europe, l’offensive antisociale est en marche

29 février 2024

Depuis quelques mois, un vent mauvais souffle sur la France et l’Union européenne. L’optimisme post crise sanitaire a progressivement cédé la place, sur fond de crise de l’énergie et d’inflation encore haute, au marasme économique généralisé qui ranime les vieilles rengaines de rigueur budgétaire

Pour le gouvernement français et la Commission européenne, après les « largesses » de l’époque Covid, marquée par une intervention inédite des États pour amortir les chocs économiques et sociaux, il est l’heure d’un sérieux tour de vis sur les finances publiques, en clair, une nouvelle cure d’austérité. 

Les premiers indices de cette offensive antisociale sont arrivés en janvier par la voix de Bruno Le Maire. Après deux ans de « bouclier tarifaire » sur les prix de l’énergie, le ministre de l’Économie sonne la fin de la récréation. Au 1er février 2024, les tarifs de l’électricité augmentent de 10% - pas parce que les prix sont en hausse, non - mais parce que le gouvernement décide du relèvement de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité qui touche de plein fouet les classes moyennes et les plus pauvres. Ce sont des millions de personnes en plus qui vont plonger dans la précarité. Quelques jours plus tard, le 30 janvier 2024, c’est le premier ministre nouvellement nommé, Gabriel Attal, qui poursuit dans la même veine. Sa déclaration de politique générale atteste d’une volonté d’élagage généralisé des services publics. Au programme de cette cure : un détricotage de la loi SRU qui encadre la construction de logements sociaux, la suppression de l’Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) et une réforme à venir de l’assurance chômage dont la « trajectoire financière » serait préoccupante. Enfin, le 18 février 2024 c’est la cerise sur le gâteau. Bruno Le Maire annonce un grand plan d’économies de 10 milliards d’euros prélevés intégralement sur le budget de l'État. 1 milliard en moins pour la rénovation énergétique des bâtiments, 1 milliard aussi pour l’aide au développement et le reste en dépenses de fonctionnement. Autant de coupes budgétaires synonymes de licenciements massifs et de dégradation de la qualité des services rendus à la population. 

L’Union européenne n’est pas en reste. À Bruxelles aussi, chassez l’austérité, elle revient au galop. Début février 2024, le Parlement européen - avec le soutien des socialistes, de la droite et des macronistes – et les États membres se sont entendus sur de nouvelles règles budgétaires européennes qui augurent d’efforts de réduction sans précédent des dettes publiques. Ces règles, de 60% de dette et de 3% maximum de déficit public, vous les connaissez. Elles peuvent sembler distantes et techniques mais les citoyen·nes européen·nes ressentent chaque jour leurs implications. C’est en leur nom qu’hier le gouvernement français a fait passer une réforme des retraites que 70% de la population rejetait. C’est en leur nom aussi qu’on ferme des lits d’hôpitaux, des lignes de train régionales, ou des bureaux de poste locaux jugés pas assez rentables.

La liste des mesures antisociales pourrait continuer. En France et en Europe, le même vent austéritaire qui a muselé la Grèce et poussé vers le chômage des millions d’Européens et d’Européennes après la crise économique de 2008, recommence à souffler. Une fois encore, ce sont les classes moyennes et populaires, ainsi que les générations futures qui en paieront le prix fort.  

Ce choix politique est mortifère et irrationnel. Il aggrave une situation sociale déjà extrêmement préoccupante en France et en Europe ; il fait fi de toutes les leçons économiques des années qui ont suivi la crise économique de 2008 et il mine durablement notre capacité à financer des investissements dans les services publics et la transition écologique et sociale. Pour toutes ces raisons, je m’y oppose avec force.

« Mes amis, au secours ! »

Près de 70 ans après l’appel de l’Abbé Pierre, la situation des plus vulnérables en France et en Europe est extrêmement préoccupante. 

En France, plus de 9 millions de personnes sont pauvres.

Ce chiffre devrait faire la une de tous les médias. Il devrait surtout être l’objet de toute l’attention de la puissance publique. La pauvreté est un aveu d’échec de la République. Parce qu’elle est la négation du principe de fraternité, la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes doit concentrer toutes nos forces. Au lieu de cela, le gouvernement actuel a laissé la crise énergétique frapper de plein fouet les plus précaires de nos concitoyen·nes et la classe moyenne. 

Sur le front du logement d’abord, la situation est catastrophique. Alors que le candidat Macron ne voulait plus « d’hommes et de femmes dans la rue d’ici la fin de l’année [2017] », la France compte près de 330.000 sans-abris. La saturation de l’hébergement n’est plus uniquement une alerte saisonnière réservée aux mois d’hiver, elle se vérifie tout au long de l’année. Le nombre de personnes sans solution d’hébergement s'accroît. Tous les soirs, le 115 est forcé de rejeter les demandes d’hébergement d’urgence de plus de 8.000 personnes dont près de 2.000 enfants. Alors que la politique du logement social devrait justement servir à pallier les inégalités en fournissant des logements de qualité aux ménages les plus précaires, le gouvernement n'a eu de cesse de réduire la capacité financière des bailleurs sociaux. En augmentant la TVA sur la construction de HLM ou en réduisant les loyers de solidarité, c'est la capacité à agir de ces bailleurs qui est mécaniquement compromise. Les annonces récentes sur la loi SRU, tout comme la nomination d'un ministre du logement auteur d'une honteuse loi « anti-squat » font craindre le pire. 

Pour celles et ceux qui ont la chance d’avoir un logement, l’explosion récente des prix de l’énergie et des produits de base complique tout. Selon le médiateur de l’énergie, les impayés d’électricité et de gaz ont augmenté de plus de 50% depuis 2020 et pourtant plus d’un ménage sur quatre déclare avoir eu froid dans son logement en 2023. Plus préoccupant encore, près d’une personne sur six en France ne mange pas à sa faim, un chiffre multiplié par deux depuis 2016, selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Que fait le gouvernement ? D'un côté, il introduit une nouvelle taxe sur l'électricité qui va précariser davantage des millions de ménages. De l'autre, quand il s'agit des grands groupes énergétiques ou agro-alimentaires dont les bénéfices explosent, Bruno le Maire "demande" gentiment des efforts sur les prix. Ce deux poids, deux mesures est insupportable. 

Le gouvernement nous rétorquera que la vraie politique sociale est celle de l’emploi. Il se targue d’une baisse « sans précédent » du nombre de personnes au chômage en France. Outre que cette réussite semble en passe de s’inverser, la baisse du nombre de personnes en recherche d’emplois s’est faite au prix d’une précarisation massive des travailleur·euses. Les livreur·euses à vélo que l’on voit partout dans nos rues ne sont que la face émergée d’un phénomène plus large d’ubérisation du travail, dont Emmanuel Macron s’est fait le plus ardent lobbyiste. La conséquence c’est qu’un quart des sans-abris en France sont des personnes qui ont un travail, les fameux travailleurs pauvres, selon les chiffres de l’INSEE. La suppression de l’ASS et la future réforme de l’assurance chômage que le gouvernement appelle de ses vœux ne peuvent que renforcer ce constat glaçant. En France, en 2024, le travail ne paie souvent plus assez pour se payer un toit.  

Ce constat est accablant mais il n’est pas sans solutions. Le budget de l’État doit servir à réinvestir massivement dans le logement, la santé ou l’éducation, qui sont autant de remparts contre la pauvreté. Sauf qu’on nous annonce 10 milliards d’euros de coupes budgétaires et autres réformes structurelles qui vont dans le sens inverse...

Les 10 milliards d'économies et les règles budgétaires européennes sont les deux faces de la même médaille 

Le gouvernement prend pour prétexte la croissance en berne, qui obligerait à une baisse des dépenses publiques afin de ne pas mettre en péril le sacro-saint équilibre budgétaire. 

L’argument de la croissance est pratique car il permet de présenter ces économies comme inéluctables, alors même que le gouvernement avait délibérément tablé sur une prédiction de croissance trop élevée, malgré les mises en garde de la Cour des comptes. Surtout, faire reposer la totalité des économies sur des baisses de dépenses est un choix idéologique extrême. Quand un budget est déséquilibré, une autre solution consiste à augmenter les recettes. Mais l’État d'Emmanuel Macron et Bruno Le Maire est  le seul acteur économique qui, quand il est à découvert à la fin du mois, dit : « ma priorité est de diminuer mes revenus ». 

Depuis 2017, le gouvernement a délibérément choisi de baisser les impôts, en particulier pour les plus riches. Le passage de l’Impôt sur la fortune à l’Impôt sur la fortune immobilière, 4.5 milliards d’euros, la suppression de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), 4.1 milliards d’euros, ou encore de la taxe d’habitation, 18.5 milliards d’euros, ont grevé les budgets de l’État et des collectivités territoriales. En réduisant les impôts et en se refusant à toute remise en question de sa politique fiscale ultra-libérale, le gouvernement défait l’État de son pouvoir d’agir à l’heure même où les défis sociaux et écologiques requièrent un engagement accru

Cette austérité aura un impact à court terme sur la vie des Françaises et Français. Quand on retranche 692 millions au budget de l’éducation nationale, 904 millions pour l’enseignement supérieur et la recherche, 1 milliard 100 millions pour le travail et l’emploi ou 2 milliards pour l’écologie, on dégrade nettement les services fondamentaux rendus à la population. Ce sont des milliers de places d’hébergement d’urgence qui vont être fermées, des dizaines de milliers de chantiers de réhabilitation thermique de maisons qui n’auront pas lieu, des jeunes bénéficiaires de bourses scolaires qui vont en être privé·es ; ou encore ce sont les personnes les plus éloignées de l’emploi qui ne pourront pas profiter des emplois aidés. Je ne cesse de le dire: les services publics sont le patrimoine de celles et ceux qui n'en ont pas. 

L’austérité budgétaire affecte donc à court terme la qualité de la réponse aux besoins des citoyen·nes. Plus important encore, dans les économies annoncées par le gouvernement ou dans la réforme en cours des règles budgétaires européennes ce qui est en jeu c’est notre capacité à préparer collectivement l’avenir. 

En ce sens, l’accord trouvé début février sur les règles budgétaires européennes - soutenu par les socialistes, la droite et les macronistes - est un non-sens historique. En lieu et place de la flexibilité promise pour faire face aux crises à court et long terme, le texte réintroduit des objectifs quantitatifs de réduction de dette et de déficit délirants. Ces règles, dictées par une logique d’austérité et de préservation des intérêts financiers des plus riches, sont un obstacle majeur pour la justice sociale et la transition écologique. Tout ce qui tient la société ensemble : les services et les infrastructures publiques ou les mécanismes de solidarité et de protection sociale sont susceptibles de faire les frais d’un ajustement budgétaire. 

Non content de servir à imposer des coupes aveugles dans nos services publics et à privatiser nos bien communs, ce carcan austéritaire sacrifie notre avenir sur l’autel de l’équilibre budgétaire à court terme. Alors que toutes les études économiques montrent que la transition écologique et sociale requiert un effort d’investissement public sans précédent, plus de 250 milliards d'euros par an selon l’Institut Rousseau, les règles budgétaires européennes vont entraver la capacité des gouvernements à investir. Suite à la crise économique des années 2010-2012, tout le monde avait pourtant acté l'échec des politiques d'austérité. En imposant des réformes structurelles libérales et des coupes draconiennes dans les budgets, les états avaient récoltés une explosion du chômage tout en retardant la reprise économique. Tout se passe comme si nous n'avions rien retenu des leçons du passé. 

Il existe pourtant des alternatives viables. 

Comment accepter que les géants des fossiles ou agro-alimentaires enregistrent des profits records sur le dos des citoyen·nes ? Une taxe sur les super-profits est absolument essentielle mais pas suffisante. Il nous faut une réforme fiscale progressive d'ampleur, incluant une augmentation des taux d'imposition sur les plus hauts revenus et les grandes fortunes, ainsi que la mise en place d'un nouvel impôt sur la fortune climatique, comme l'a souligné le rapport Pisani-Ferry. Les plus riches ont fait l'objet de toutes les réductions d'impôts alors même que ce sont eux qui sont responsables de l'essentiel des émissions carbone. Des mesures rigoureuses contre l'évasion fiscale des grandes entreprises doivent également être mises en œuvre. 

Parallèlement, l'émission d'emprunts publics verts offre une voie prometteuse pour financer des projets d'investissement dans les énergies renouvelables, les transports durables, les initiatives d'économie sociale et solidaire, ainsi que les infrastructures dont nous manquons cruellement telles que les crèches ou les places d'hébergement d'urgence. Ces obligations vertes ou sociales représentent un levier financier essentiel pour accélérer la transition vers une économie plus durable et inclusive.

Enfin, pour garantir une véritable démocratie économique, il est indispensable d'engager un débat transparent et participatif sur la place et la gestion de nos services publics. Les décisions budgétaires, qui affectent directement la vie de millions de personnes, ne peuvent pas être prises de manière unilatérale ou autoritaire. L'usage systématique du 49.3 pour le projet de loi de finances en France, comme le contournement du Parlement européen en ce qui concerne les règles budgétaires européennes est un déni de démocratie. Au lieu de cela, une délibération collective, impliquant les citoyen·nes et leurs représentant·es, est nécessaire pour définir les priorités du budget public et les modalités de son financement, afin de répondre efficacement aux besoins présents et futurs de la société dans son ensemble.

Ce qui est en jeu avec les politiques d'austérité, c'est bien plus que des chiffres sur un tableau financier. C'est l'état même de nos services publics et l'avenir de notre société qui pèsent dans la balance. Regardez simplement ce qui se passe actuellement au Royaume-Uni : la recrudescence de maladies historiques, la détérioration des infrastructures de santé et l'augmentation des inégalités sociales ne sont que quelques-uns des effets dévastateurs de décennies de politiques d'austérité.

La libéralisation à tout prix conduit à une privatisation rampante de nos services publics, mettant en péril l'accès universel à des soins de santé de qualité, à une éducation accessible à tous·tes et à des infrastructures publiques fiables. Les conséquences sont tangibles : des hôpitaux surchargés, des écoles délabrées, des lignes TER fermées...

Ce n'est pas le sens de l'histoire que de sacrifier le bien-être des citoyens sur l'autel de l'austérité budgétaire. Il est temps de reconnaître que les politiques d'austérité ne sont pas seulement injustes, mais qu'elles sont également inefficaces et contre-productives. Elles creusent les inégalités, affaiblissent nos communautés et compromettent notre avenir commun.

Nous devons rejeter cette vision étroite de l’économie qui place les intérêts financiers au-dessus du bien-être des gens. Il est temps de réinvestir massivement dans nos services publics, de restaurer la dignité des travailleurs et travailleuses et de garantir à chacun·e un accès équitable aux ressources nécessaires à une vie digne. C’est seulement ainsi que nous pourrons construire une société plus juste, plus résiliente et plus durable pour tous et toutes. Vous pouvez compter sur moi pour défendre cette vision.