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Lutte contre le blanchiment d’argent : dernière ligne droite pour le nouveau règlement européen anti-blanchiment de capitaux

19 mars 2024

« Des économies sont nécessaires ! » 

C’est la dernière rengaine à la mode. Elle est partout dans la bouche d’Emmanuel Macron, de Bruno Le Maire ou chez les conservateur·rices européen·nes, comme la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Ce vent austéritaire se fait clairement sentir dans l’annonce des 10 milliards d’euros d’économies sur le budget de l'État, comme dans les nouvelles règles d’austérité budgétaires européennes, votées la semaine dernière. Comme toujours, ce sont les services publics, donc les classes moyennes et les plus précaires qui en feront les frais. Cette rhétorique m’insupporte. Comme si lorsqu’un budget est déséquilibré, la seule manière de résorber ce déficit est de couper dans les dépenses. Augmenter les recettes est aussi une solution.

Pour ce faire, vous connaissez mes convictions : impôts sur les superprofits, taxe sur les transactions financières, impôt sur la fortune climatique, les solutions existent et sont nombreuses. Parmi celles-ci, une est rarement évoquée et représente pourtant une voie très intéressante : la lutte contre le blanchiment d’argent.

LES CHIFFRES

Bien que l’ampleur exacte du phénomène soit difficile à mesure en raison de sa nature secrète, le blanchiment d’argent concerne 2 à 5% du PIB mondial – plus de 2.000 milliards de dollars par an selon des chiffres des Nations Unies. Dans l’Union européenne, les transactions impliquant de l’argent sale représentent 1.5% du PIB, soit plus de 133 milliards d’euros. Presque la moitié du budget de l’État français.

Tous ces milliards blanchis sont autant d’argent qui ne finit pas dans les caisses des États pour financer les services et les infrastructures publiques et la nécessaire transition énergétique. À l’heure où la crise sociale et écologique prend de l’ampleur, il est urgent de récupérer ces sommes. 

Aujourd’hui en commission des affaires économique et monétaires (ECON) et en commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) est voté un texte qui poursuit exactement cet objectif. Le nouveau règlement unique anti-blanchiment d’argent, que j’ai porté en tant que co-rapporteur, fait partie des solutions concrètes pour récupérer des sommes qui finissent autrement dans les poches des criminel·les et autres oligarques et restaurer en partie la confiance des citoyens et citoyennes dans les gouvernant·es.

Après des négociations en trilogue (entre le Parlement européen, la Commission européenne et les États membres) qui ont commencé voilà bientôt un an, nous avions trouvé un accord politique à la fin du mois de janvier 2024. Cet accord a été confirmé aujourd'hui par le vote positif des Commission ECON et LIBE. Je m’en réjouis.


Quel était l’enjeu ? 

De son nom complet, le nouveau règlement en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, est la pièce maîtresse du paquet anti-blanchiment, qui comprend également la sixième directive anti-blanchiment et le règlement instituant la nouvelle autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux. 

L’enjeu du règlement c’est l’harmonisation. Après des années de mise en œuvre inégale des directives européennes anti-blanchiment, l’invasion russe de l’Ukraine et l’inefficacité manifeste des sanctions européennes sur les oligarques russes et biélorusses ont montré les lacunes persistantes dans le cadre européen anti-blanchiment. Comment espérer confisquer les yachts et les propriétés luxueuses des oligarques russes quand certains pays européens, Malte, Chypre, le Luxembourg, entre autres, facilitent sciemment l’obtention de titres de séjour européens contre des investissements ou ferment les yeux sur le rôle de facilitateur joué par certaines banques ? 

De même, les scandales et révélations qui s'enchaînent révèlent nos défaillances. Pandora Papers, OpenLux, Dubaï Uncovered, ou encore Cyprus Confidential, du nom d'un récent scandale à Chypre, ont montré que des États membres de l’Union s’en donnaient à cœur joie pour attirer les capitaux étrangers, licites ou illicites, en leur concédant des accords fiscaux préférentiels. Comment dès lors avoir confiance en nos institutions publiques quand des gouvernements ou des responsables politiques sont au mieux négligent·es, au pire, complices de blanchiment d’argent ? 

Il y a un an, en mars 2023, nous avions adopté une position très ambitieuse du Parlement qui renforçait considérablement la proposition de la Commission européenne sur ce règlement. Avec mon co-rapporteur socialiste, Eero Heinäluoma, nous nous sommes battus avec acharnement tout au long des négociations avec les États membres pour ancrer nos priorités dans le texte final. Aujourd’hui, je peux le dire avec satisfaction : cette ambition est largement préservée.


Concrètement que contient cet accord ? 

Tout au long des négociations, je n’ai cessé de garder en tête deux exigences simples :

  1. Harmoniser les lois au sein de l’Union ; 
  2. Renforcer les règles là où le risque de blanchiment est le plus élevé. 

Cela peut sembler obscur et lointain, c’est cependant très concret. Sur chacune de ces deux exigences, nous améliorons le statu quo de manière tangible. 

Pourquoi l’harmonisation est essentielle ? 

  • Le problème initial de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme dans l’Union : il existe autant de pays européens que de cadres anti-blanchiment. 

À cause ou grâce à la succession de directives, instrument légal très flexible, les règles, les moyens techniques et les exceptions se sont multipliées. Il suffit donc qu’un État membre fasse moins bien son travail de lutte contre le blanchiment qu’un autre, et toute l’Union est affectée. 

Deux exemples d’avancées pour lutter contre ces lacunes : 

Premier exemple, les visas dorés 

Certains États européens ont, encore aujourd’hui, des systèmes de visas dorés en place. Le principe est simple : vous achetez un visa, voire un passeport européen, en échange d’un investissement substantiel (immobilier le plus souvent) dans l’économie du pays. Outre qu’il est scandaleux par principe de vendre la citoyenneté européenne, ces systèmes ont ouvert grand la porte aux oligarques russes et autres criminel·les qui ont vu leur argent sale légitimé et ont pu s’acheter sans problème des villas luxueuses aux quatre coins de l’Union européenne. Les textes portés au vote aujourd’hui prévoient un encadrement très strict de ces pratiques pour les limiter au maximum et à terme les interdire. Par exemple, il faudra dorénavant obligatoirement vérifier la source des fonds que cette personne prévoit d’investir ou encore s’assurer qu’elle ne finisse pas sur la liste des personnes sanctionnées par l’UE.

Deuxième exemple, la politique anti-blanchiment à l’égard des pays tiers

La politique de lutte contre le blanchiment exige une identification claire des risques provenant des pays hors de l’UE. Cette identification commence par la définition commune, claire et objective des pays tiers qui posent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme pour l’Union. La liste de la Commission européenne que nous avions jusqu’à présent, et dont j’ai encore récemment dénoncé les dérives, est à la fois politisée et « lente à réagir » aux mise à jours de la liste mère du Groupe d’Action Financier (GAFI), organisation international référente en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Pour éviter des « délais » très politiques, comme dans le cas des Émirats Arabes Unis, les listes du GAFI devront dorénavant être reflétées dans la liste européenne dans un délai de 20 jours maximum. 

L’UE disposera aussi d’une liste noire autonome de pays tiers à haut risque. Lorsque des pays présentent des risques spécifiques pour le système financier de l’Union européenne, ils seront ajoutés dans une liste de vigilance gérée par la Commission.

Nouveauté aussi, la nouvelle autorité anti-blanchiment, au même titre que les autres superviseur·ses, seront en mesure de signaler les banques ou autres entités non-européennes à haut risque afin qu'il y ait une vigilance spécifique vis-à-vis de ces banques. Ceci pour éviter les cas comme Crédit Suisse, par exemple, où une banque évite sciemment les règles anti-blanchiment afin d’attirer le plus de client·es fortuné·es possibles.

Avec l’harmonisation, ma deuxième exigence était donc de renforcer les règles là où le risque est le plus grand. 

Nous avons pu constater, encore dans les révélations Cyprus Confidential il y a quelques semaines, à quel point les plus riches et les plus puissant·es, y compris les oligarques russes et les criminel·les, bénéficient de passe-droits et ont des moyens privilégiés de blanchir leur argent. 

Cette tolérance vis-à-vis des plus riches ou de certains secteurs de l’économie, sous prétexte qu’ils rapportent beaucoup d’argent aux États ou aux banques, est intolérable. Elle nourrit le sentiment d’injustice des citoyen·nes ordinaires, qui se voient parfois refuser des services financiers sous prétexte qu’ils et elles présenteraient un risque de blanchiment, ainsi que leur sentiment de défiance vis-à-vis de leurs gouvernements. Il nous fallait impérativement remédier à cette injustice dans ce règlement et le combat avec les États membres a été dur.

Qu’avons-nous mis en place spécifiquement ? 

  • Les ultra-riches (au-delà de 5 millions d’euros) feront l’objet de contrôles renforcés de la part des banques qui gèrent leur argent afin de s’assurer qu’ils ou elles ne font pas du blanchiment de fraude fiscale, par exemple. Ces mesures sont justifiées par le fait que les montants en question sont par définition très élevés et que l’appât du gain pousse certaines banques à être plus conciliantes avec ce genre de client·es, comme l’ont montré de nombreuses révélations (ex : Suisse Secrets) dans le passé. Identifier l’origine des fonds ou mettre en place des mesures de prévention des conflits d’intérêt me semblent bien la moindre des choses à faire pour prévenir l’appât du gain. 
  • De même, sur la base de mon expérience d’élu local, j’ai insisté pour que les dirigeant·es des autorités régionales et locales (au delà de 50.000 habitant·es), y compris les maires, fassent partie de la catégorie des « personnes politiquement exposées » sur laquelle pèsent des obligations supplémentaires. La gestion irréprochable de l’argent public est une condition essentielle de la confiance des citoyens et citoyennes dans leurs représentant·es. Pour éviter les « petits arrangements » familiaux, les frères et sœurs des personnes politiquement exposées sont également ajoutés aux catégories de vigilance renforcée

Les moyens et secteurs privilégiés du blanchiment sont connus : le secteur du luxe, le football ou encore les cryptos. Il fallait donc cibler spécifiquement ces secteurs pour colmater les brèches. 

Cela paraît délirant mais jusqu’à présent aucune règle anti-blanchiment encadrait le secteur du football. En d’autres termes, le monde du football, comme toutes les études le montrent, était un petit paradis pour les malfrats et autres criminel·es, comme Roman Abrahamovic, l’ancien propriétaire de Chelsea et proche du pouvoir russe, avec leurs matchs truqués et autres transferts douteux. Après une dure négociation avec les États membres, nous avons obtenu que les clubs de football professionnels effectuent eux aussi des contrôles anti-blanchiment dans le cadre des transferts de joueur·ses ou des contrats de sponsoring, entre autres. Les agent·es de football devront elles et eux aussi montrer patte blanche. C’est, je l’espère, le début de la fin de la corruption massive dans le football européen.  

Le luxe ou les cryptos sont des secteurs notoirement risqués, il fallait donc revoir à la hausse nos exigences. De la même manière que les banques contrôlent leurs client·es, les marchands de bijoux, de montres de luxe et autres œuvres d’art au-delà du seuil de 10.000 euros devront contrôler leurs client·es. De même, tou·tes les client·es s’inscrivant sur des plateformes d’échange de crypto-actifs feront l’objet de contrôles anti-blanchiment. Pour les voitures de luxe, les jets privés, les yachts, et autres joujoux préférés des oligarques russes, les vendeur·ses devront aussi soumettre leurs client·es aux règles anti-blanchiment, qui comprend la vérification de l’identité de la personne et de la source des fonds.

Après des décennies de tergiversations, ces avancées vont permettre concrètement de consolider durablement et efficacement la structure européenne de lutte contre le blanchiment. Cette réforme ambitieuse signe le début de la fin pour les criminel·les, terroristes et autres oligarques russes qui trouvaient dans l’Union européenne un terrain fertile à la dissimulation de leur argent bien mal acquis. Elle marque également une nouvelle étape dans la lutte contre les inégalités sociales et fiscales dont souffrent beaucoup de nos concitoyen·nes.