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Non à la réforme du code frontières Schengen proposée ce 19 mars 2024 !

19 mars 2024

Aujourd’hui, la commission parlementaire des Libertés civiles était appelée à se prononcer sur l’accord trouvé entre le Parlement européen et le Conseil - les Etats membres de l’UE - sur la réforme du code frontières Schengen. Mais avant de vous expliquer en quoi consiste cette réforme et pourquoi je m’y suis vivement opposé, je vous propose un petit quizz.


Schengen c’est quoi ? 

  • Un petit village luxembourgeois

  • Un accord qui abolit les contrôles aux frontières intérieures de l’UE

  • Un des outils de l’Europe forteresse

¡ Ɛ sǝן : ǝsuodǝᴚ

Schengen, c’est un petit village situé au Luxembourg, à la frontière avec l'Allemagne et la France, où l'accord puis la convention de Schengen ont été signés respectivement en 1985 et en 1990. L'espace Schengen couvre désormais plus de 4 millions de kilomètres carrés au sein desquels près de 420 millions d'habitant·es peuvent circuler librement entre les pays qui en sont membres sans passer par des contrôles aux frontières.

Dans cet espace de libre circulation, les pays n'effectuent pas de contrôles à leurs frontières intérieures, sauf en cas de menaces spécifiques mais ils effectuent des contrôles harmonisés à leurs frontières extérieures, sur la base de critères clairement définis.

L'espace Schengen est régi par un ensemble de règles relatives au contrôle des personnes qui franchissent les frontières extérieures de l'UE et à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans des circonstances spécifiques : c’est le code frontières Schengen.

Chaque jour, près 3,5 millions de personnes franchissent des frontières intérieures pour travailler, étudier ou rendre visite à des familles et à des amis, et près de 1,7 million de personnes résident dans un pays de l'espace Schengen tout en travaillant dans un autre.

Attention, l’espace Schengen ne correspond pas exactement au territoire de l’Union européenne ! Il y a bien 27 pays comme actuellement dans l’UE mais sur ces 27, 23 sont des États membres de l’UE, auxquels s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse (membres de l’Association Européenne de Libre-Échange). Bien que membre de l’UE, l’Irlande ne fait pas partie de l’espace Schengen, en Bulgarie et en Roumanie, les contrôles aux frontières intérieures ont été partiellement levés le 1er janvier 2024, quand ceux avec Chypre ne l’ont pas encore été.

Mais ce qui est un espace de libre circulation pour certain·es est une forteresse infranchissable pour d’autres.

Les Etats membres de l’espace Schengen ont levé les contrôles à leurs frontières intérieures au prix d’une militarisation croissante des frontières extérieures de l’UE, de l’édification de murs, de barbelés, de la création et de l’élargissement permanent des actions et des moyens de Frontex - l’agence européenne garde-frontières et de garde-côtes - dont il est pourtant prouvé et documenté qu’elle a participé - ou a minima constaté - à des refoulements illégaux ou à des violations graves des droits fondamentaux des exilé·es.  Au prix, surtout, de milliers de morts à nos frontières, comme vous pouvez le voir sur cette carte, régulièrement - trop régulièrement - mise à jour

Depuis 2015, en réaction aux  attentats terroristes, à l’exil de milliers de réfugié·es syrien·nes puis à la crise du Covid, les Etats parties à la convention Schengen ont réintroduit régulièrement, parfois à raison, des contrôles temporaires aux frontières intérieures. De nombreux Etats membres - comme la France - s’affranchissent ouvertement des règles en vigueur pour prolonger de tels contrôles sans que cela ne soit nécessaire ou proportionné. La réforme du Code frontières Schengen devait remédier à ces abus,  qui dénaturent complètement le principe même de cet espace de libre circulation.

C’est pourtant tout le contraire que propose le texte final issu des négociations interinstitutionnelles et défendu par le groupe des socialistes européen·nes en charge du rapport au Parlement européen.

Cette réforme du Code frontière Schengen est xénophobe et dangereuse. Je m’y oppose fermement !

Et je soutiens les 85 organisations de la société civile qui se mobilisent contre cette réforme et ont lancé un appel en faveur de l’humanité et des droits humains ! 

Cette réforme est un condensé de toutes les mesures inhumaines et honteuses contre lesquelles je me bats sans relâche. Je vous explique dans le détail.


1 - Contrôles généralisés aux frontières, profilage racial et discriminations.

Initialement espace de libre circulation, Schengen sera désormais celui des contrôles de police généralisés aux frontières où se multiplieront profilages raciaux et discriminations. Insupportable !

Cette réforme est présentée comme la “solution” à la réintroduction régulière des contrôles supposément “temporaires” aux frontières intérieures de l’Union européenne. Je les avais par exemple constatés à la frontière entre la France et l’Italie, quand je m’étais rendu à Menton. Ces contrôles étaient jusqu’alors autorisés sur des périodes allant jusqu’à 6 mois. 

Aujourd’hui, ils seront autorisés pendant une durée allant jusqu’à 3 ans ! Si la réintroduction des contrôles aux frontières internes de l'espace Schengen est mieux encadrée avec cette réforme, la prolongation de la durée de ces contrôles de police est inquiétante. De plus, rien n'empêchera les pratiques abusives et dérives actuelles - comme celles de la France, qui maintient les contrôles à ses frontières depuis 2015 - de perdurer si la Commission persiste dans son inaction et son cautionnement silencieux de ces pratiques !

En réalité, cette réforme du Code frontières prévoit de généraliser les contrôles de police, dans le but explicite de prévenir l'immigration irrégulière. Le tout, en normalisant le profilage racial ! Nous le savons, des recherches de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, entre autres, ont prouvé à maintes reprises que les personnes racisées étaient davantage victimes de ces contrôles arbitraires et discriminatoires. Je ne peux y voir qu’une politique xénophobe !


2 - Le “transfert interne” des exilé·es, un refoulement illégal qui ne dit pas son nom

Ce n'est pas tout ! Le Code révisé légalise les "transferts internes” d’exilé·es d’un Etat membre à un autre, sans évaluation préalable de leur situation. On légalise là les refoulements illégaux en violant au passage la Convention de Genève de 1951.

La migration y est présentée comme une menace. Les exilé·es comme des pions entre les mains de régimes ennemis qui les encourageraient à entrer en Europe “en masse”, et en recourant à la force. 

Se voyant forteresse assiégée, l’UE légitime les pires violations des droits humains.

À ce stade, s’opposer à un texte qui piétine ainsi le droit international et les droits fondamentaux, est déjà pour moi une évidence !


3 - L’élargissement du concept dangereux d’”instrumentalisation”

Mais la réforme du texte va encore plus loin, en intégrant à son tour le concept dangereux d’”instrumentalisation” contre lequel je me suis toujours battu. 

Déjà introduit dans le Pacte asile et migration, au sein du Règlement Crise, c’est désormais dans ce texte législatif qui encadre l’espace Schengen qu’il se fait une place. Avec, toujours pour premières victimes, les exilé·es. Et avec, toujours les mêmes risques : celui de voir les pratiques violentes et illégales à l'égard des exilé·es en quête de protection, s'accroître.

Le concept d’instrumentalisation, qui s’est donc frayé un chemin dans plusieurs textes européens régissant les politiques migratoires, désigne la manière dont, pour tenter de déstabiliser l’Union européenne, certains pays tiers voisins exploitent les personnes en besoin de protection,  comme je vous l’expliquais dans un article en décembre 2023. C’était le cas en 2020 en Turquie, ou encore en 2021 à la frontière entre la Pologne et le Bélarus.

Dans le code Schengen, les Etats membres pourront utiliser ce concept d’instrumentalisation à des fins particulières. Ainsi, pour préserver “la loi, la sécurité et l’ordre”, un Etat membre pourra utiliser “toutes les mesures nécessaires”, si un grand nombre de personnes tente d’entrer de manière irrégulière sur son territoire. En cas d’”instrumentalisation”, les Etats membres pourront également fermer ou limiter certains points de passage frontaliers. C’est la porte ouverte aux pratiques violentes et aux abus aux frontières !

Ces éléments rhétoriques xénophobes sont absolument abominables !

Cette rhétorique s’inscrit dans une politique ultra-sécuritaire qui fait des exilé·es des boucs émissaires, sans jamais proposer de réelles solutions !

Cette refonte du code frontières Schengen soumise au vote et adoptée aujourd’hui en Commission LIBE multiplie les risques de profilage racial, élargit le concept d’”instrumentalisation” ou encore légalise les refoulements internes.

Pire, elle promeut l’utilisation accrue de technologies de surveillance qui renforcent des régimes de contrôles frontaliers qui touchent de manière disproportionnée les personnes racisées. Cette logique tendant à rendre les frontières de la forteresse Europe toujours plus "intelligentes" s'illustre d’ailleurs parfaitement dans la loi européenne sur l’intelligence artificielle tout juste adoptée par le Parlement européen et le Conseil. 

Dans ce premier texte européen encadrant le recours à l'intelligence artificielle, en matière de contrôle des frontières, "tout est permis", y compris le déploiement des technologies les plus attentatoires aux droits fondamentaux des exilés. Or, c’est prouvé et documenté, ces technologies comportent des biais (racisme) et des erreurs intrinsèques qui menacent, entre autres, le droit de ne pas subir de discriminations (voir le récent rapport d’Amnesty International).  

Une fois de plus, on déshumanise les exilé·es en les privant du respect de leurs droits fondamentaux, on en fait les cobayes de nos politiques ultra-sécuritaires et violentes.

Cette réforme est un condensé de toutes les mesures inhumaines et honteuses auxquelles je m’oppose sans relâche.

Celles et ceux qui ont voté un tel texte ne pourront plus parler d’humanité ou de solidarité, ni même d'État de droit. Elles et ils ont aujourd’hui participé à le dilapider encore un peu plus.