Skip to main content
19 décembre 2023

#1 PRESSION ET MÉPRIS

La Présidence espagnole vous donne le choix : pression ou mépris ?

Selon que vous serez en faveur de politiques migratoires ultra sécuritaires ou en faveur d’un accueil digne et humain des exilé·es, la Présidence espagnole vous mettra sous pression ou vous méprisera. Bienvenue dans les coulisses.

Au niveau européen, les discussions sur les futures politiques d’asile et migration n’ont toujours pas abouti. À Bruxelles, où je participe depuis hier matin, à ce qui devait être le dernier volet des négociations sur le Pacte asile et migration, le Conseil - où siègent les représentant·es des États membres - se montre inflexible et le Parlement européen semble avoir renoncé à défendre son mandat de négociation et son rôle de co-législateur.

Depuis 3 ans, j’ai déposé des amendements, participé à des réunions de shadows*, rendu compte à mon groupe politique, discuté des stratégies, refusé des compromis, voté contre le texte issu des négociations au Parlement, mais j’ai assisté aux trilogues*, aux réunions de shadows*. De septembre 2020 à aujourd’hui. 3 ans d’investissement sans relâche pour m’opposer à la mise à mort du droit d’asile et aux politiques cruelles. Mes collaboratrices, assistées de stagiaires, négocient en réunions techniques depuis des mois, parfois 10h par jour, week-end inclus. Du temps, de l’énergie pour ne pas avancer. Ne rien obtenir de nos demandes. Reculer. Voir le droit d’asile s’étioler sous nos yeux, impuissant·es, la rage au cœur.

Après plus de 24 heures de négociations, aucune avancée majeure sur l'ensemble des textes du Pacte. Les négociations politiques reprennent aujourd'hui à 12h30.

La Présidence espagnole n'a aucun mandat à ce stade pour faire des compromis intégrant les questions prioritaires du Parlement – elle consulte depuis hier soir les délégations des États membres. Certains pays comme la France et l'Italie menacent de faire tomber la majorité si la Présidence s'écarte du texte du Conseil.

La façon dont les négociations se déroulent est scandaleuse, du jamais vu, de mémoire de celles et ceux qui pourtant en ont vu d’autres. Alors que le Parlement et le Conseil sont co-législateurs, et devraient donc négocier d’égal à égal, le Conseil force le Parlement à plier et à abandonner toutes ses priorités, sans compromis possible sur aucune question. La Commission, quant à elle, outrepasse son rôle, accentue la pression sur le Parlement, et nous gratifie même de commentaires d'ordre politique, elle qui, si l’on s’en tenait strictement au droit européen, ne devrait même pas assister à ces discussions puisqu’elle n'est pas co-législateur.

La pression est mise sur certains groupes politiques du Parlement, principalement ceux de la grande coalition (le Parti Populaire Européen, c'est-à-dire les Conservateurs, REnaissance, les Macronistes et les S&D, les Socialistes) pour parvenir à un accord. Coûte que coûte. Des textes, des ébauches de compromis, un accord peut-être, circulent officieusement depuis hier soir sur les téléphones des un·es et des autres, entre les 3 groupes du Parlement qui formeraient la majorité pour adopter le Pacte (PPE, RE, S&D). Des échanges et des messes basses auxquels ma collègue de The Left, Cornelia Ernst et mon collègue S&D, Pietro Bartolo, le médecin de Lampedusa, mis en minorité dans son groupe politique, et moi-même, ne sommes pas convié·es. Nous ne pouvons qu’observer, impuissant·es et abasourdi·es, ces petits manèges. Nous n’en saurons pas plus. La réunion d’hier soir a été levée sans qu’aucune information ne nous soit partagée. Nous avons patienté jusqu’à 1h20 du matin pour rien. A la colère se mêle l’inquiétude. Y a-t-il un accord ou pas ? Et s’il y a un accord que contient-il ? Sur quoi ces 3 groupes ont cédé ? Et contre quoi ?

A 14h00 aujourd’hui, au moment où devaient reprendre les négociations sur le règlement asile et migration, le Conseil n’a pour réponse aux demandes du Parlement que 2 options : les points sensibles et les lignes rouges. Le Conseil n’entend pas bouger. La réunion est levée.

J’apprends finalement en milieu d’après-midi qu’un nouveau trilogue aura lieu ce soir, à partir de 20h30. Alors que nous sommes épuisé·es par des réunions aussi tendues que stériles.

Même si nous arrachons les meilleurs compromis possibles, le Pacte, tel que conçu, ne résoudra rien des dysfonctionnements actuels du Règlement Dublin et des politiques européennes d'asile. Il les renforce.

 

Nos préoccupations restent les mêmes sur tous les textes du Pacte actuellement en négociation. Et en particulier:

  • Un ensemble de règlements, qui, cumulés, permettront une privation de liberté massive de la plupart des exilés (y compris les familles avec enfants – encore à déterminer si on met le seuil à 12 ans, 6 ans ou pas de seuil du tout) durant toute la durée d'étude de leur demande de protection (donc 6 mois, voire un an en situation de crise)

  • Dans un grand nombre de procédure, le concept dangereux de "fiction juridique de non entrée sur le territoire de l'UE" sera appliqué. Les exilés interpellés, non seulement lors du franchissement des frontières de l'UE, mais aussi sur le territoire de l'UE, seront privés de liberté, et considérés comme étant hors du territoire de l'UE, alors qu'ils/elles sont physiquement là. Le régime de la "zone d'attente" en France est généralisé, avec toutes les atteintes aux droits qu'il implique.

  • Pire encore, le Conseil rétropédale sur la question de l'accès gratuit à une assistance juridique et à un avocat pour toutes et tous: l'une des priorités du Parlement. Car sans accès pour toutes et tous à un ou une avocate, personne n'aura accès à ses droits les plus fondamentaux. C'est une bataille qui ne peut être perdue.Or, elle l'est déjà à moitié, car au mieux, le compromis qui se dessine garantira une 'assistance juridique' (qui peut être fournie par des ONG ou associations) mais pas à un avocat !

  • On met fin à l'un des principes fondamentaux du droit d'asile: celui de l'individualisation des craintes de persécution.

  • Une atteinte grave aux droits les plus fondamentaux, en particulier ceux des mineurs, qui se verront prendre leurs empreintes dès l'âge de 6 ans.

  • Pour la première fois on met en place un mécanisme de "solidarité" en matière d'asile en droit européen, mais la solidarité est complètement redéfinie, vidée de son sens. On ne parle pas de relocaliser des personnes d'un pays en crise (l'Italie par exemple) vers un autre État comme la France. On ne parle pas de solidarité "humaine". On parle de contributions financières apportées entre États, pour financer, dans l'UE et dans des pays tiers, des projets et installations de protection des frontières (murs, barbelés, équipements de surveillance).

  •  Quand une situation de crise, ou d'instrumentalisation des migrants à des fins politiques, ou de force majeure est déclarée dans un pays de l'UE: les États membres pourront largement s'affranchir du droit européen, avec des conséquences désastreuses en termes d'atteinte aux droits fondamentaux. C'est aussi la fin du régime européen commun.

 

En savoir +

La Présidence espagnole vous donne le choix : pression ou mépris ?

19 décembre 2023
#1 PRESSION ET MÉPRIS Selon que vous serez en faveur de politiques migratoires ultra sécuritaires ou en faveur d’un accueil digne et humain des exilé·es, la Présidence espagnole vous mettra sous pression ou vous méprisera. Bienvenue dans les coul...

Comment la Présidence espagnole et la Commission européenne ont traité le Parlement européen de manière scandaleuse

19 décembre 2023
#2 TROIS PHASES SIDÉRANTES Une Commissaire européenne ne devrait pas dire ça. Hier, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, je résumais les grandes lignes du Pacte européen sur la migration et l’asile et ses implications concrètes sur...

Comprendre le Pacte Européen "asile et migration"

7 décembre 2023
Comprendre le pacte "asile et migration" européen Pas de pacte sans dignité humaine ! Le 9 septembre 2020, Moria, le plus grand camp d’exilé·es d’Europe, situé sur l’île grecque de Lesbos, était ravagé par les flammes. Cet accident tragique avait...