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19 décembre 2023

#2 TROIS PHASES SIDÉRANTES

Comment la Présidence espagnole et la Commission européenne ont traité le Parlement européen de manière scandaleuse

Une Commissaire européenne ne devrait pas dire ça.

Hier, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, je résumais les grandes lignes du Pacte européen sur la migration et l’asile et ses implications concrètes sur le droit d’asile et les conditions d’accueil et de vie des exilé·es.

Quand j’entends l’ambassadeur espagnol, qui représente la Présidence du Conseil de l’Union européenne et à ce titre, préside le trilogue politique (c’est à dire les négociations officielles entre le Parlement et le Conseil) affirmer sans ciller que : les Etats ne souhaitent pas codifier les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne dans ce Règlement et qu’il faut laisser les décisions de justice là où elles sont… J’ai l’impression d’être en plein cauchemar ! Le porte-parole de 27 Etats membres unis volontairement autour d’un projet démocratique basé sur la règle de droit feint d’ignorer que les décisions de la CJUE s'imposent à tous les Etats membres, qu'elles soient codifiées ou non.

J’y vois là la preuve accablante que les Etats membres, qui violent déjà ouvertement et quotidiennement le droit, s'assoient sur les décisions de la Cour européenne sans aucune sanction ni même réaction de la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, comptent bien poursuivre dans cette voie.

Quand j’entends la Commissaire Johannsson se faire le relais des pires thèses xénophobes pour s’opposer à la publication des propositions de la Commission identifiant les Etats membres sous pression migratoire et leurs besoins de solidarité, dont le nombre de relocalisations pour l'année à venir parce que, selon ses propres dires, cela risquerait tout simplement de créer un "appel d'air" dont les passeurs se saisiraient pour conduire des exilés vers l'UE et vers ces pays en particulier, je suis sidéré !

Ylva Johansson, Commissaire européenne aux Affaires intérieures, entrée en politique sous les couleurs communistes, aujourd'hui considérée comme “membre de l'aile gauche des sociaux-démocrates suédois” (!) reprend les idées rances de la droite et de l’extrême droite pour limiter les pouvoirs de contrôle du Parlement européen et même remettre en cause la légitimité et l’acuité de ses propositions. On croit rêver ! Ou plutôt cauchemarder.

Quand j’entends cette même Commissaire Johannsson affirmer en réponse à la demande du Parlement au Conseil de réduire le délai maximum d'exécution d'un "transfert Dublin" que “ceci est une ligne rouge pour [elle] et la Commission", les bras m’en tombent ! Un “transfert Dublin”, c’est lorsqu’un pays, prenons la France, transfère un demandeur d'asile vers un autre pays, l’Italie par exemple, parce que cette dernière est considérée comme responsable de sa demande d'asile (concept du premier pays d’entrée dont je vous ai déjà parlé dans d’autres publications). Dans l'attente du transfert, les personnes sont privées de liberté, enfermées. Actuellement, le Conseil défend un délai de 6 mois. Pour le Parlement, 6 mois d'une vie enfermé dans l'attente d'un transfert, c'est tout simplement inhumain. Par ailleurs, allonger les délais de transfert ne sert à rien si ce n’est porter davantage atteinte aux droits fondamentaux.

Outre le caractère humainement discutable de la réponse de Madame Johannsson, elle outrepasse non seulement ses propres fonctions mais surtout les attributions conférées par les traités à la Commission européenne.

La Commission n’a pas a avoir de ligne rouge. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Commission n’est pas co-législateur, ce que sont le Parlement et le Conseil. Les trilogues, ce sont des négociations qui n’ont aucune existence légale, à savoir que cette formation inter-institutionnelle est une structure ad-hoc qui n’est prévue ou encadrée par aucun des traités européens. Si elles réunissent les 3 institutions européennes, seuls le Parlement et le Conseil sont censés négocier et parvenir à un accord. La Commission européenne n’est là que comme gardienne des traités et éventuellement pour fournir des précisions techniques, de mise en œuvre etc. Certainement pas pour avoir des lignes rouges et relayer des idées rances.

Cette posture est inacceptable ! Comme furent inadmissibles bon nombre des interventions de la Commission tout au long de ces négociations. Sortant de son rôle à plusieurs reprises la Commission s’est permise des interventions d'"ordre politique", des remises en cause du mandat du Parlement ou des critiques de ses propositions.

La Commission a ainsi qualifié les positions clés du Parlement - comme celles visant à sauvegarder les droits fondamentaux des exilés ou à assurer une surveillance démocratique de la mise en œuvre des politiques européennes - de dangereuses, susceptibles selon ses  termes scandaleux, de provoquer des "appels d'air", de pousser les exilés "sur des routes dangereuses en mer" ou les "enfants vers les réseaux de passeurs". Inacceptable. 

Ces 3 phrases, entendues hier en trilogue politique, sont le reflet de la manière scandaleuse avec laquelle la Commission et la Présidence espagnole ont fait pression sur le Parlement et l’ont traité avec mépris, comme une sous-institution, lors des différents rounds de négociations officielles sur le Pacte.

Au-delà de la forme et de la façon dont nous, représentant·es de 450 millions d’Européen·nes, avons été traité·es, le fond est tout aussi abject.

Ce que j’y ai vu et entendu me consterne, m’attriste, me révolte même.

Parce qu’en tant qu’ancien maire de Grande-Synthe, une commune près de Calais, pendant 19 ans, j’ai vu les conditions dans lesquelles tentent de survivre les exilé·es qui ont fui la guerre, la misère, les persécutions. J’ai vu des enfants évoluer dans la boue et le froid, épuisés, traumatisés par de longs et dangereux parcours d’exil. J’ai essayé, à mon modeste niveau, de leur rendre leur dignité et leur humanité. Alors être témoin des ignominies de la grande coalition européenne qui réunit conservateurs (LR), libéraux (Renaissance) et Sociaux-démocrates (PS), leur volonté d’ériger des murs et des barbelés, de ficher et d’enfermer, de légaliser les pires pratiques, d’externaliser la gestion des migrations à des pays qui brutalisent et torturent, de traiter de jeunes enfants en criminels, m’est insupportable. Ça me prend aux tripes, au corps, au cœur.

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