Ce soir, samedi 13 février 2021 : je me sens encore plus déterminé à me battre pour faire respecter les droits et les conventions internationales.
Pour faire respecter ce qui fait la vie humaine, le vivre ensemble.
Traiter des êtres humains comme des bêtes est intolérable.
Inventer tout et n’importe quoi, n’importe quel prétexte, pour repousser des gens, quelle que soit leur situation, est intolérable.
Ce qui se passe à la frontière franco-italienne est odieux. La manière dont la France se comporte avec les personnes exilées est odieuse, tout comme l’est la manière dont l’Europe agit.
Vendredi soir, après le briefing où j’ai rencontré une petite trentaine de bénévoles, je suis parti comme chacun.e rejoindre une position bien précise. Avec Médecins du Monde et son président, Philippe de Botton, notre tâche était de marauder dans le village de Montgenèvre, d’être prêts à intervenir si les équipes sur les pistes retrouvaient des personnes qui nécessitaient une intervention médicale.
Alors que nous tournons dans le village, nous voyons le bus de ligne qui arrive. Une voiture de gendarmerie est garée. Nous nous approchons. Des gens sont descendus du bus et emmenés au poste.
Nous nous y rendons immédiatement.
Je me présente. Le chef de poste est prévenu : il m’autorise à entrer, seul. Je lui explique que je suis député européen, et je lui dis ce que je fais là. Je propose que Médecins du Monde me rejoigne, il refuse. Ma collaboratrice non plus ne peut pas m’accompagner.
Je me retrouve donc tout seul dans le poste et je demande ce qui est en train de se passer. Réponse : un groupe est entendu à l’étage, ils sont en train de prendre leur déclaration, de vérifier leur identité, de voir s’ils sont en règle. En fonction de tout ça, ils délivreront un refus de rentrer sur le territoire.
Je dis : « donc en fait vous les refoulez.
Et si ces personnes demandent l’asile ? »
On me rétorque qu’une telle situation n’existe pas, qu’il est impossible que ces personnes puissent demander l’asile.
Je réponds que pourtant, il s’agit d’une arrivée en France, qu’il y a une convention internationale.
On me dit que non, qu’ici c’est une frontière intérieure de l’espace Schengen.
Ce n’est pas le moment de débattre. Je propose donc que Médecins du Monde puisse rencontrer ces personnes. L’agent décline : pas besoin, elles sont en bonne santé.
Je demande à les voir. C’est non : je peux visiter les lieux de privation de liberté, les cellules, donc - la loi y autorise les parlementaires, mais je ne peux pas monter dans les bureaux, où elles ont été installées. Je réponds que je connais ces trois cellules, que ça fait trois fois que je viens voir, que je voudrais voir les gens là-haut : on me l’interdit… je n’ai pas le droit d’accéder à cette partie.
J’annonce que je vais attendre.
Il est 20 heures, je sors.
Je m’installe dans une voiture de Médecins du Monde parce qu’il fait glacial et le vent souffle. Nous attendons deux heures. Vers 22h15, 22h30 je retourne au poste.
Entre temps, le chef de poste a changé.
On me dit que les auditions sont toujours en cours, mais que les personnes n’ont pas présenté de papiers, elles vont se voir signifier un refus d’entrer. La police italienne va être appelée pour venir les chercher. Il s’agit d’une famille.
Je demande à nouveau si tout va bien, s’il faut appeler un médecin : on me répond que non, tout va bien, que la famille est au complet, qu’ils sont tous là, les parents, les enfants, donc que tout va bien.
Je retourne à la voiture. Avec l’équipe, on ne sait pas combien de temps nous allons attendre. Deux heures ? Quatre heures ? Le froid sévit : les maraudes se terminent pour ce soir. Nous décidons de redescendre vers Briançon : demain matin, nous irons rencontrer la famille en Italie.
En chemin, une bénévole italienne appelle pour dire qu’ils sont prévenus qu’une famille va être refoulée. En effet : entre minuit et 1 heure, les agents italiens sont appelés par la PAF, et la famille est conduite dans un refuge, en Italie, donc : à Oulx.
Avec Tous Migrants, je retrouve la famille au refuge, à Oulx. Un papa avec ses deux enfants de 4 et 6 ans et un neveu de 15 ans, donc cousin des deux enfants.
La dame n’est pas là : elle a été conduite à l’hôpital, car elle est enceinte de plus de 8 mois et demi, ce que s’est bien gardé de me dire le chef de poste la nuit dernière.
A son arrivée au refuge, la Croix Rouge italienne a emmené directement cette femme à l’hôpital, à une quarantaine de minutes de là, car elle n’allait pas bien.
Un bénévole humanitaire appelle une interprète farsi-italien pour recueillir le témoignage de la famille : nous apprenons que le bus ne s’est pas arrêté au village précédent le poste frontière. On ne sait pas si ces gens voulaient y descendre et continuer à pied, en tous cas le bus ne s’est pas arrêté, et ça surprend tout le monde.
La famille est descendue du bus, le chauffeur les a remboursés. Au poste, ils ont eu des papiers qu’ils ont refusé de signer. D’après leur témoignage : la police a signé à leur place… Malheureusement sans leur donner les documents ensuite.
Le jeune ado a 15 ans. Il a perdu une partie de l’audition à cause de ce qu’il a reçu comme mauvais traitement notamment en Croatie : il est à bout, il raconte combien le périple a été terrible.
Nous sommes révoltés : on s’est bien moqués de nous.
Au beau milieu de la nuit glaciale, les forces de l’ordre ont considéré qu’une femme sur le point d’accoucher n’avait besoin d’aucune assistance… Douze heures plus tard, elle donnait naissance à son bébé.
C’est une évidence : il y a une rupture totale de confiance. Je suis outré de ce comportement des forces de l’ordre françaises, qui agissent sur ordre - ils le précisent tous.
Nous sommes allés avec Philippe de Botton trouver le chef de poste pour dire notre indignation, pour dire que leur obstination avait mis en danger la vie de la mère et de l’enfant.
Ces agissements sont scandaleux.
Et il y a aussi cette signature qui vient corroborer différents témoignages déjà recueillis par le passé, témoignages de gens qui refusent de signer les documents qu’on leur demande de signer : les agents, alors signent à leur place sans le stipuler (la loi les autorise à signer pour eux, à condition que ce soit notifié, relaté sur le document).
Quand on fait le bilan avec les bénévoles qui œuvrent chaque jour, chaque nuit sur le terrain : le renforcement des forces de l’ordre, la débauche de moyens humains, techniques, financiers ne sert à rien. C’est illusoire. Ça sert juste à l’État à montrer ses muscles
Les Maraudes Solidaires mettent l’accent sur la solidarité qui est tant malmenée. Les élu.e.s qui se succèdent sont solidaires du monde associatif, avec les bénévoles, avec les exilé.e.s qui arrivent, avec les ONG, avec toutes celles, tous ceux qui font en sorte que cette solidarité continue d’exister.
Les combats perdus d’avance sont ceux que l’on ne mène pas.
Il faut bousculer l’opinion publique, il faut faire savoir, il faut raconter.
Il faut expliquer, il faut faire écho aux identitaires, aux bêtises débitées par nos responsables politiques au sujet des migrations et des soi-disant « flux migratoires ».
Il n’y a pas de problème migratoire.
Il y a un drame de l’accueil.
Député Européen Verts / ALE**,
Président de l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants.
Damien Carême est né en Lorraine.
Il est élu maire de Grande-Synthe, dans le Nord, en 2001 et le reste jusqu’en mai 2019, date à laquelle il entre au Parlement européen.
Durant 18 ans, à Grande-Synthe, il mène une politique mue par l’écologie sociale et transforme ainsi radicalement la ville. Capitale française de la biodiversité en 2010, Grande-Synthe voit naître des jardins partagés, des quartiers totalement repensés, des repas 100% bio et locaux dans toutes les cantines, une démarche d’autonomie alimentaire, des transports en commun gratuits, un minimum social garanti (MSG) pour les habitants vivant sous le seuil de pauvreté, une université populaire, des ateliers de fabrique de l’autonomie… Un objectif, clair : créer du sens commun et véritablement entrer « en transition ».
En mai 2019, il est élu député européen. Avec 12 autres élu.e.s, il rejoint alors le groupe des Verts / ALE au Parlement européen, où il intègre plusieurs commissions : la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), la Commission industrie, recherche et énergie (ITRE) et la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON). Il intègre également une délégation : la délégation Afrique du Sud. * Ce qui l’anime ? Poursuivre les missions et les combats entamés à Grande-Synthe, agir à grande échelle en faveur de l’écologie sociale, respectueuse de la dignité, des droits fondamentaux et de la justice environnementale.
Fin 2015, le conflit syrien pousse à l’exil des milliers de personnes. A Grande-Synthe, ces femmes, ces hommes et ces enfants réfugié.e.s arrivent et stagnent dans des conditions indignes : Damien Carême, contre l’avis de l’Etat, réagit et avec l’aide de Médecins Sans Frontière, met en place le premier camp humanitaire sur le territoire français. Dans la foulée, il fonde l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants, qu’il co-préside aujourd'hui avec Jeanne Barseghian.
En mai 2019, il est élu député européen. Avec 12 autres élu.e.s, il rejoint alors le groupe des Verts / ALE au Parlement européen, où il intègre plusieurs commissions : la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), la Commission industrie, recherche et énergie (ITRE) et la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON). Il intègre également une délégation : la délégation Afrique du Sud.
Ce qui l’anime ? Poursuivre les missions et les combats entamés à Grande-Synthe, agir à grande échelle en faveur de l’écologie sociale, respectueuse de la dignité, des droits fondamentaux et de la justice environnementale.
Et le 1er juillet 2021 ? Ce jour-là, Damien Carême vit une victoire majeure : dans la matinée, le Conseil d’État rend en effet un arrêt historique dans lequel il sanctionne le gouvernement pour inaction climatique et l’enjoint à prendre, dans un délai de neuf mois, « toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs » du pays. Si cette victoire est un pas de géant pour le climat ainsi qu’un véritable séïsme judiciaire, elle est également la concrétisation de la lutte d’un homme qui, un jour de novembre 2018, avait entamé, seul contre l’État, un recours pour inaction climatique. Impossible pour lui de se résoudre à laisser aux générations futures un monde invivable… »
- Président de l'Association des Maires Ville & Banlieue de France en 2014-2015
- Prix Nord/Sud du Conseil de l'Europe en 2018
- Prix Éthique et Société, avec Mention Spéciale du Jury, de la fondation Pierre Simon en 2016
- 9e "Meilleur maire du monde", décerné par la City Mayor Fondation en 2016
- 2016, « On ne peut rien contre la volonté d’un homme » (éd. Stock), livre écrit avec Maryline Baumard